2000 · Rhinocéros · Ionesco · Vigner
Le 11 novembre 2000 ÉRIC VIGNER ouvre la saison du CDDB avec RHINOCÉROS d’Eugène IONESCO, la pièce a été absente de la scène pendant quarante ans.
"Nous savons tous que la critique semble impossible, que les critères varient, que les critères ne couvrent pas l’œuvre, que, parlant d’une œuvre littéraire, les critiques font, en réalité, de la psychologie ou de la sociologie ou de l’histoire ou de l’histoire littéraire, et ainsi de suite. C’est-à-dire, ils sont toujours à côté de l’œuvre, dans le contexte ; le texte ne les touche guère alors qu’il est la chose la plus importante ; c’est le texte qu’il faut voir, c’est-à-dire l’unicité de l’œuvre qui est un organisme vivant, création créaturée ; non pas le contexte, c’est-à-dire la généralité, c’est-à-dire l’extérieur, l’impersonnel ; ce n’est pas ce qui m’importe, ce qui importe, c’est ce qui ne ressemble à nulle autre : c’est-à-dire ni la sociologie ni l’histoire, mais dans l’histoire, dans la société, son irréductibilité, cette histoire-ci, celle de l’œuvre, pas une autre. Toute l’histoire de l’art est l’histoire de son expression. Chaque fois qu’il y a une expression nouvelle, il y a événement, quelque chose arrive, quelque chose de neuf. Ceci donc m’est resté : l’expression est fond et forme à la fois. Ce n’est pas l’histoire qui compte, mais surtout comment c’est écrit, c’est-à-dire comment n’importe quelle histoire doit révéler une signification plus profonde. Aimer davantage comment une histoire est racontée plutôt que ce qu’elle raconte, c’est cela le signe de la vocation littéraire." [1]
BÉRENGER
C'est une chose anormale de vivre.
JEAN
Au contraire. Rien de plus naturel. La preuve : tout le monde vit.
BÉRENGER
Les morts sont plus nombreux que les vivants. Leur nombre augmente. Les vivants sont rares. [2]
"Et maintenant, avant de passer au chapitre suivant, j'engage le lecteur à méditer une vingtaine de minutes sur l'identité des contraires."
Eugène Ionesco
BÉRENGER
Où trouver les armes ?
LE LOGICIEN
La logique n'a pas de limite !
JEAN
En vous-même. Par votre volonté.
BÉRENGER
Quelles armes ?
LE LOGICIEN
Vous allez voir...
JEAN
Les armes de la patience, de la culture, les armes de l'intelligence. Devenez un esprit vif et brillant. Mettez-vous à la page.
BÉRENGER
Comment se mettre à la page ? [2]
"Si je pouvais faire comme eux. Ahh, ahh, brr! Non, ça n'est pas ça! Essayons encore, plus fort! Ahh, ahh, brr! non, non, ce n'est pas ça, que c'est faible, comme cela manque de vigueur. Je n'arrive pas à barrir. Je hurle seulement. Ahh, ahh, brr! Les hurlements ne sont pas des barrissement! Hélas, je suis un monstre, je suis un monstre. Hélas, jamais je ne deviendrai rhinocéros, jamais, jamais! Je ne peux plus changer. Je voudrais bien, je voudrais tellement, mais je ne peux pas. Je ne peux plus me voir. Je me défendrai contre tout le monde! Contre tout le monde, je me défendrai! Je suis le dernier homme, je le resterai jusqu'au bout! Je ne capitule pas !" [3]
"Exit le décor de la France profonde des années 1950, le petit marché, le petit bureau… Un Rhinocéros gît au milieu de la scène vide, éventrée, cauchemar énorme de l’unique personnage vraisemblable de la pièce, Bérenger. JEAN-DAMIEN BARBIN transforme son aventure en face à face exclusif avec la Bête. En contraste, les autres témoins de son irruption, qui se transforment tous métaphoriquement en rhinocéros, parlent avec la sentencieuse lenteur des ombres dans les songes… Bérenger rêve tout ce qui l’entoure, le cerne."
CHRISTOPHE DESHOULIÈRES
DAISY
Et la tête, comment va-elle ?
BÉRENGER
Beaucoup mieux, mon amour.
DAISY
Alors, nous allons enlever ce pansement.
BÉRENGER
Ah! non, n'y touche pas.
DAISY
Mais si, on va l'enlever.
BÉRENGER
J'ai peur qu'il n'y ait quelque chose dessous.
DAISY
Toujours tes peurs, tes idées noires. Tu vois, il n'y a rien. Ton front est lisse.
BÉRENGER
C'est vrai, tu me libères de mes complexes. Que deviendrai-je sans toi ?
DAISY
Je ne te laisserai plus jamais seul.
BÉRENGER
Avec toi, je n'aurai plus d'angoisses.
DAISY
Je saurai les écarter.
BÉRENGER
Nous lirons des livres ensemble. [3]
BÉRENGER
Eh oui, je rêve... La vie est un rêve. [2]
© Photographies : Alain Fonteray
Textes assemblés par Jutta Johanna Weiss
© CDDB-Théâtre de Lorient