1996 · Brancusi contre États-Unis · Vigner

Titre friendly: 
Brancusi contre États-Unis
Sous-titre: 
Vigner
Date: 
1996

"Ce n'est pas l'oiseau que je sculpte, mais le vol."
BRANCUSI

En 1996, Vigner crée BRANCUSI CONTRE États-Unis, Un procès historique - 1928, dont il signe l’adaptation pour le Cinquantenaire du Festival d’Avignon (Salle des Conclaves au Palais des Papes), avec pierre baux, odile bougeard, philippe cotten, donatien guillot, arthur nauzyciel, vincent ozanon, laurent poitrenaux, myrto procopiou, alice varenne. Le spectacle est ensuite recréé au Centre Georges Pompidou à Paris, présenté dans un Carreau des Mines de Forbach, au Tribunal de Pau et au CDDB-Théâtre de Lorient.

L’objet du procès de Brancusi est le suivant : qu’est-ce qu’une œuvre d’art aux yeux d’un douanier américain du port de New York à la fin des années 20? Voilà la question qui fut posée à un tribunal américain au cours d’un procès devenu célèbre et qui opposait le sculpteur Constantin Brancusi au service des douanes des Etats-Unis. Une œuvre de l’artiste, intitulée "Oiseau", n’avait pas été reconnue comme telle par un douanier, qui l’avait taxée à 40% de sa valeur à son entrée sur le territoire américain, comme n’importe quel produit manufacturé, alors que les œuvres d’art étaient, elles, censées circuler librement. Le sculpteur se retourna contre l’administration fédérale et gagna son procès.

Q : Vous avez dit que la pièce à conviction n°1 est une œuvre d’art qui représente selon vous un oiseau en vol ?
R : Non, ce n’est pas qu’elle représente un oiseau, mais elle le suggère. Elle a les qualités qui suggèrent un oiseau en vol, le vol d’un oiseau. Elle ne le représente pas.
Q : Elle ne représente pas un oiseau ?
R : Non.
Q : A-t-elle la même aptitude à représenter un poisson ?
R : Non.
Q : Même si on l’avait appelé "Poisson" ?
R : Peu importe son nom. Seul compte le sentiment qu’elle procure. Ce n’est pas parce qu’elle est appelée "Oiseau", mais parce qu’elle suggère la nature du vol.
Q : Est-ce le seul point qui en fait une œuvre d’art ?
R : Non, la forme, l’équilibre, le sens magnifique de l’exécution, et le plaisir que j’éprouve en la regardant.
Q : Eprouvez-vous un plaisir similaire devant toute pièce de métal magnifiquement bien poli ?

"Le mot oiseau n’a pas le même sens pour l’accusation et pour la défense. Pour l’une, c’est un volatile et pour l’autre, c’est l‘essence même du vol. Dans le procès de Brancusi, les acteurs disent les mêmes choses, mais ils ne le disent pas avec le même son, avec le même sentiment. Le sens ne suffit pas. Lorsqu’ils témoignent, ils témoignent d’autre chose. Ce qui m’intéresse au théâtre, ce n’est pas le sens, surtout pas le sens. C’est le langage ou l’écriture comme matière poétique, c’est le mot ouvert… Il ne s’agit donc pas de travailler avec le sens mais de travailler avec le son, de travailler au son… trouver à quel moment le son fait sens."
ÉRIC VIGNER

"Écouter un procès d’emblée chargé de théâtralité, où le temps a rendu justice à l’artiste mis en cause, exige la radicalité d’une interrogation sur soi en tant que spectateur d’aujourd’hui et ses propres aptitudes à réagir au nouveau. Le théâtre engage ainsi un débat essentiel." 
Georges Banu (Art-Presse, décembre 1996)

"C’est un procès. Un espace contracté où siège un aéropage d’hommes savants pour lesquels la question de ce qu’est ou n’est pas une œuvre d’art, se pose. Comme toujours et partout, deux paroles, deux mondes, deux vérités s’affrontent et se font face. Incommunicantes. Le savoir et la connaissance. Et puis, comme sur une pente déclive, "L’Oiseau" se dématérialise et s’éparpille dans l’espace tandis que la parole se dilate et prend corps dans un autre lieu. Le lieu des champs sonores. C’est un forum, un espace publique où siège la Conférence des oiseaux, où les acteurs tel les anges de WIM WENDERS dans LES AILES DU DÉSIR tentent de redéfinir les règles de fonctionnement du monde par la maîtrise de la parole. La question est dans le vent, le vol et l’envol du sentiment. La question est dans le verbe qui participe de la création du monde. Comment en inventant le mot, on invente le monde. La question est comment l’art dramatique peut en rendre compte. C’est une hypothèse de travail !" 
BÉnÉdicte Vigner

© Photographies : Alain Fonteray
Textes assemblés par Jutta Johanna Weiss
© CDDB-Théâtre de Lorient

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