2006 · Pluie d’été à Hiroshima · Duras · Vigner
"Le texte c’est la maison, si vous voulez. La maison, c’est le livre, c’est l’écrit. C’est pas à pas, dans la maison, que je fais ma mise en scène." [1]
En 1993, MARGUERITE DURAS vient voir LA PLUIE D’ÉTÉ, son livre porté pour la première fois à la scène par ÉRIC VIGNER. Pour avoir aimé le spectacle, elle lui offre le scénario de HIROSHIMA MON AMOUR.
En 1996 disparaissait Marguerite Duras, et depuis ÉRIC VIGNER n’a cessé de travailler autour de son œuvre (lecture de HIROSHIMA MON AMOUR avec ValÉrie DrÉville, LA DOULEUR avec Anne Brochet et BÉnÉdicte Vigner, LA BÊTE DANS LA JUNGLE avec JEAN-DAMIEN BARBIN et JUTTA JOHANNA WEISS, SAVANNAH BAY pour l’entrée au répertoire de la Comédie-Française, avec CATHERINE HIEGEL et CATHERINE SAMIE). En 2006, pour célébrer les dix années passées à la direction du CDDB - Théâtre de Lorient, il revient au cadeau que lui avait fait Duras : le scénario de HIROSHIMA MON AMOUR. Il relie le scénario au texte fondateur de ses débuts, LA PLUIE D’ÉTÉ, ainsi naît : PLUIE D’ÉTÉ À HIROSHIMA pour le 60e Festival d’Avignon avec HÉLÈNE BABU, BÉNÉDICTE CERUTTI, THIERRY GODARD, NICOLAS MARCHAND, MARIE-ÉLÉONORE POURTOIS, THOMAS SCIMECA, ATSURO WATABE et JUTTA JOHANNA WEISS.
LES CARMES POUR MARGUERITE
C’est en 1967 que le cloître, qui jouxte l’église des Carmes (XIVe siècle), fut investi par le Festival d’Avignon. Il a toujours été utilisé dans un dispositif frontal. L’aménagement réalisé en 2006 constitue donc une première. Lors des repérages des éventuels lieux de représentation, VIGNER est sensibilisé par l’espace architectural du Cloître, son ouverture sur la méditation, "son aspiration vers le ciel". Sa définition du projet scénographique passe par "l’utilisation du lieu et de l’architecture pour ce qu’ils génèrent en plaçant les spectateurs non pas devant une écriture mais à l’intérieur d’elle".
Avec PLUIE D’ÉTÉ À HIROSHIMA, Vigner invite à un voyage dans l’œuvre de Marguerite Duras à travers deux opus qui comptent parmi les plus belles pages de l’écrivain. L’amour, la mort, le désir, la mémoire et l’oubli sont les thèmes qui traversent, d’un récit à l’autre, une même écriture.
"Si j’ai décidé un jour de faire de la mise en scène, c’est parce que je voulais essayer de placer les gens dans la situation physique, sensitive de l’écriture. Je fais du théâtre avec de l’écriture, celle qui a plus à faire avec la poésie."
ÉRIC VIGNER
L’héritage de Duras c’est aussi cette capacité qu’elle avait de remettre sans cesse en chantier ses propres œuvres et qu’elle lègue comme possibilité. L’écriture a pris forme dans les livres, les romans, les pièces de théâtre, les scénarios de films, les films… Elle n’est plus là, et pourtant, l’écriture poursuit son chemin et génère d’autres écritures. C’est pourquoi Vigner associe à ce travail les graphistes M/M, qui eux aussi remettent sans cesse en chantier et en circulation leur propre travail graphique. Ensemble, ils créent une forme nouvelle, par laquelle trois écritures se répondent - écrit, mise en scène et déroulement plastique.
"L’œuvre durassienne représente un tout. Un tout avec des périodes différentes, plus ou moins abstraites, drôles, concrètes ou tragiques. Chaque partie renvoie au tout et vice-versa. Ainsi les figures héroïques, les histoires se répondent de livre en livre."
ÉV
"Le travail des acteurs et du metteur en scène consiste à éprouver intimement la matière, le fondement de l’écriture, pour atteindre et transmettre, dans le moment même de la représentation, la sensation, l’expérience initiale dont elle procède. Si le théâtre pose toujours la question de la mise au présent du texte, l’œuvre de Duras rend cette interrogation évidente et incontournable."
ÉV
"Ernesto était censé ne pas savoir encore lire à ce moment-là de sa vie et pourtant il disait qu'il avait lu quelque chose du livre brûlé. Comme ça, il disait, sans y penser et même sans le savoir qu'il le faisait, et puis qu'ensuite eh bien qu'ensuite, il ne s'était plus rien demandé ni s'il se trompait ni s'il lisait en vérité ou non ni même ce que ça pouvait bien être, lire, comme ça ou autrement. Au début il disait qu'il avait essayé de la façon suivante : il avait donné à tel dessin de mot, tout à fait arbitrairement, un premier sens. Puis au deuxième mot qui avait suivi, il avait donné un autre sens, mais en raison du premier sens supposé au premier mot, et cela jusqu'à ce que la phrase tout entière veuille dire quelque chose de sensé. Ainsi avait-il compris que la lecture c'était une espèce de déroulement continu dans son propre corps d'une histoire par soi inventée." [2]
"À la fin de La Pluie d’ÉTÉ, Ernesto, cet enfant qui découvre L’Ecclésiaste sans jamais avoir appris à lire, accède à la connaissance, devient un professeur, puis un savant. Il part en Amérique, puis "un peu partout dans le monde, au hasard de l’implantation des grandes centrales scientifiques de la terre". La famille est détruite. La famille est en ruine, et sur ces ruines de La Pluie d’ÉTÉ, au milieu des flammes, pouvait enfin surgir cette femme magnifique qui entend une voix lui dire "Tu n’as rien vu à Hiroshima"."
ÉV
"Je vis un autre ange puissant, qui descendait du ciel, enveloppé d'une nuée; au-dessus de sa tête était l'arc-en-ciel, et son visage était comme le soleil, et ses pieds comme des colonnes de feu. Il tenait dans sa main un petit livre ouvert. Il posa son pied droit sur la mer, et son pied gauche sur la terre; et il cria d'une voix forte, comme rugit un lion. Quand il cria, les sept tonnerres firent entendre leurs voix. Et quand les sept tonnerres eurent fait entendre leurs voix, j'allais écrire; et j'entendis du ciel une voix qui disait: Scelle ce qu'ont dit les sept tonnerres, et ne l'écris pas. Et l'ange, que je voyais debout sur la mer et sur la terre, leva sa main droite vers le ciel, et jura par celui qui vit aux siècles des siècles, qui a créé le ciel et les choses qui y sont, la terre et les choses qui y sont, et la mer et les choses qui y sont, qu'il n'y aurait plus de temps." [3]
"Etre vivant implique une constante mise en relation du présent et du passé à travers l’individu que nous sommes, cependant qu’à travers chacun de nous, c’est également l’ensemble du présent et du passé qui se touchent en un point. Mais qu’est-ce que le présent sinon ce toucher ?" [4]
"Du temps passera. Du temps seulement.
Et du temps va venir.
Du temps viendra. Où nous ne saurons plus du tout nommer ce qui nous unira. Le nom s’en effacera peu à peu de notre mémoire.
Puis, il disparaîtra tout à fait." [5]
Après le Festival d’Avignon, Pluie d’ÉTÉ À Hiroshima tourne en France en 2006/07, notamment au Théâtre des Amandiers à Nanterre, au Quartz à Brest et au TNT à Toulouse.
© Photographies : Alain Fonteray
Textes assemblés par Jutta Johanna Weiss
© CDDB-Théâtre de Lorient