En septembre 2004, Vigner met en scène LE JEU DU KWI-JOK ou LE BOURGEOIS GENTILHOMME d’après la comédie-ballet de MOLIÈRE et LULLY au Théâtre National de Corée à Séoul. Du 11 au 16 octobre 2004, le spectacle est présenté au CDDB-Théâtre de Lorient, Grand Théâtre. Le spectacle LE JEU DU KWI-JOK ou LE BOURGEOIS GENTILHOMME obtient le Prix Culturel France/Corée 2004. En 2006, il est l’événement théâtral du 120e anniversaire de l’amitié franco-coréenne et est présenté dans ce cadre à l’Opéra Comique et au Quartz à Brest.
"Fin 2002, le Théâtre National de Corée me propose de venir travailler avec la troupe et d’inscrire au répertoire une œuvre d’un auteur classique français. Lorsque j’ai découvert que le Théâtre National de Corée regroupait différents champs artistiques j’ai voulu les associer. Nous venions de créer Savannah Bay de Marguerite Duras avec Catherine Samie et Catherine Hiegel à la Comédie-Française qui est aussi la "Maison de Molière". L’histoire de Savannah Bay se passe en Asie du Sud-Est et Savannakhet est aujourd’hui une province du Laos. C’est dans cette région que Marguerite Duras a passé son enfance et vécu la passion pour l’amant chinois. On découvre des paysages dans les livres puis l’on se met en marche pour les arpenter. Il est probable qu’à la fin du XVIIe siècle un marin breton, embarqué à bord du "Soleil d’Orient", soit parti du port de commerce de Lorient pour accoster en Corée après avoir longé le littoral chinois."
ÉRIC VIGNER
"Quand je suis arrivé à Séoul, j’étais dans l’émerveillement de découvrir une culture très ancienne et vive que je ne connaissais pas. Populaire souvent, quelquefois aristocratique. Il faut entendre la musique de Lully jouée sur instruments anciens coréens. Au cours de ce séjour préparatoire, je me souviens avoir pris le métro, la mélodie qui signifiait la fermeture des portes était celle de l’ouverture de la cérémonie turque du Bourgeois Gentilhomme. Un hasard, pas si sûr. Un signe, probablement. La courtoisie voulait que ce travail réalisé en Corée du Sud revienne en France et en particulier à Lorient, ville dont l’imaginaire lié à son nom et à son histoire avait fait naître le projet : De Lorient à l’Orient."
ÉV
Le Théâtre National de Corée abrite dans ses murs le ballet, l’opéra, l’orchestre et la troupe nationale de théâtre. ÉRIC VIGNER dirige 35 artistes des troupes nationales, jamais encore réunies, pour l’entrée de MOLIÈRE au répertoire du Théâtre National de Corée. Pour la première fois, la partition de Lully est retranscrite pour des instruments traditionnels coréens.
La ville de Lorient ("L’Orient") naît en 1666 de l’installation de la Compagnie des Indes Orientales et des échanges commerciaux avec l’Asie, sous le règne de Louis XIV. La consécration vient avec la construction d’un des plus beaux joyaux de la France, le Soleil d’Orient, vaisseau majestueux armé de 60 canons, qui disparaîtra quelque part au large de Madagascar, après avoir donné son nom aux chantiers navals et à la ville nouvelle. En 1669, le Roi Soleil commande à MOLIÈRE et à Lully une turquerie, pour se moquer d’un jardinier qui s’était fait passer pour un ambassadeur envoyé de l’Empire Ottoman : Le Bourgeois Gentilhomme.
"Dans cette comédie-ballet, il est question de l’Autre et aussi de l’Avenir. Le bourgeois comme le jardiner turc est ridicule aux yeux du roi, mais un siècle plus tard, le bourgeois sera l’artisan de la Révolution française. Les œuvres de Molière ne sont pas innocentes et, sous la comédie, on peut lire beaucoup au regard de l’Histoire. Le Bourgeois Gentilhomme c’est l’histoire d’un homme jeune encore, marié, riche, et qui par amour pour une autre femme que la sienne va découvrir un monde qu’il ne connaissait pas, celui de l’art, de la musique, de la danse, de la poésie, du langage, du costume, du maniement des armes et de la philosophie pour rire. Monsieur Jourdain est un homme sans culture qui a les moyens de construire par amour un monde dans lequel il s’absorbe."
ÉV
"Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour." [1]
"Molière écrit cette pièce, dont il joue le rôle principal, à 40 ans. Il connaît l’amour, la paternité, le succès. Ce qu’il raconte, c’est que l’amour peut transformer un homme. Les Français ont plutôt une vision poussiéreuse de Monsieur Jourdain, en personnage ridicule, vieux et gris. Or, il s’agit d’un homme qui aime à en mourir."
ÉV
"Il faut commencer par la connaissance des lettres et la manière de les prononcer." [1]
- Je souhaiterais un petit billet, que je veux laisser tomber à ses pieds.
- Sont-ce des vers que vous lui voulez écrire ?
- Point de vers.
- Vous ne voulez que de la prose ?
- Non, je ne veux ni prose ni vers.
- Il faut bien que ce soit l'un ou l'autre.
- Pourquoi ?
- Parce qu'il n'y a, pour s'exprimer, que la prose ou les vers.
- Il n'y a que la prose ou les vers ?
- Tout ce qui n'est point prose est vers, et tout ce qui n'est point vers est prose.
- Quand je dis : " Nicole, apportez-moi mes pantoufles", c'est de la prose ?
- Oui, Monsieur. [1]
"Monsieur Jourdain fait toujours de la prose sans le savoir, mais en coréen, le spectacle est surtitré. Costumes traditionnels à la luxuriante beauté, décors de laque orientale… Sur une musique adaptée pour les instruments coréens, les ballets issus de la culture traditionnelle - où chaque geste, chaque mouvement de main est signe - ainsi que le déploiement des ensembles à la synchronisation époustouflante auraient sans doute donné quelques frissons à Louis XIV. Le spectacle est total et l’émerveillement unique."
BERNARD BABKINE, Madame Figaro, le 16 septembre 2006
Sur le plancher de la scène, un paon blanc, splendide amoureux, dévoile sa roue. L’artiste coréenne Eunji Peignard-Kim, qui vit à Lorient, réalise ce dessin à la pierre noire pour la mise en scène de VIGNER.
"Vigner emporte le spectateur d’un enchantement à l’autre. Le spectacle est partout : dans la musique de Lully, qui sonne merveilleusement grâce aux instruments traditionnels des musiciens, dans les chants et danses époustouflants, interprétés par les plus grands artistes de Corée, les costumes de soie moirée et les paravents décorés de plumes de paon. Dès qu’apparaît l’éphèbe passionné qui joue Monsieur Jourdain, on sent avec bonheur que ce Bourgeois Gentilhomme est sorti des limbes du passé."
Maguelone Bonnaud, Le Parisien, 18 septembre 2006
© Photographies : Alain Fonteray, Guy de Lacroix-Herpin, Othello Vilgard
Textes assemblés par Jutta Johanna Weiss
© CDDB-Théâtre de Lorient