Ouest France · 12 octobre 2004 · LE BOURGEOIS GENTILHOMME

Ouest France · 12 octobre 2004 · LE BOURGEOIS GENTILHOMME
Le grand Mamamouchi est universel
Presse régionale
Critique
Christian Gouerou
12 Oct 2004
Ouest France
Langue: Français
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Ouest France

12 octobre 2004 · Christian GOUEROU

Le Théâtre national de Corée joue Molière à Lorient jusqu'à samedi. Le grand Mamamouchi est universel

Lundi soir, le Théâtre national de Corée a joué au Théâtre de Lorient Le jeu du kwi-jok ou le bourgeois gentilhomme, de Molière, sous la direction d'Éric Vigner, du Centre dramatique national de Bretagne (CDDB). La première a emporté un beau succès. Molière en coréen, c'est comment ? Seti sabir, ti respondir !

Monsieur Jourdain, l'acteur Lee Sang-Jik à la ville, a de belles manières. Dans le salon d'honneur de la mairie de Lorient, l'acteur gentilhomme donne le baisemain à une dame qui le félicite après la première. Très occidental dans sa coiffure de scène hirsute, oriental quand il salue de la tête, le grand Mamamouchi se campe en coréen aussi bien que dans la langue de Molière.

Théâtre et culture ont cela d'universel que les barrières linguistiques tombent. Que la différence enrichit. Quand le bourgeois de Molière, qui, en plus de devenir noble, s'entiche de devenir savant, le public rit devant la leçon de diction. L'on découvre que le "Ooo" coréen n'est donc pas si éloigné du "Ooo" gaulois. Qu'il suffit de bien mettre la bouche en cul de poule. Universel.

Lully au pays du Matin calme

Sur le plancher de la scène, un paon blanc, splendide amoureux, dévoile sa roue. C'est un dessin d'Eunji Peignard-Kim, artiste coréenne. Les tuniques des acteurs s'y reflètent. L'acteur se pâme : "La belle chose que de savoir quelque chose." Le Théâtre national de Corée sous la direction d'Éric Vigner réussit le pari de la fraîcheur, de la jeunesse en visitant Le Bourgeois Gentilhomme, remake in Korea.

"De Lorient à L'Orient", le slogan était facile. La mise en scène, habits coréens du XVllle siècle, danses traditionnelles dont une étourdissante syncopée chamanique pour la cérémonie turque et encore quelques sabres, éventails et couteaux servent le propos : comment berner un vaniteux ?

Laquais intriguant ou servante farouche, maîtres ès qualités, les acteurs jouent juste. Combien donc notre Monsieur Jourdain coréen est expressif dans ses mimiques ! Une révérence deux pas en arrière, dix en avant, suivi d'un plat à même le sol. Rires. Dans la fosse, les musiciens jouent Lully sur des instruments traditionnels anciens. Une marche, on imagine les fastes des courtisans du Grand Siècle - habits bleus, éventails roses. La comédie-ballet de Molière est comme coréenne depuis des siècles tant elle se moule dans la scénographie du pays du Matin calme. Juste un regret : le sous-titrage, en haut, tout en haut de la scène capte une partie de l'attention du spectateur.

La société coréenne s'invite à Lorient par le biais du théâtre classique. La pièce parut pour la première fois en 1670 tandis que la Compagnie des Indes armait des navires depuis seulement quatre années à l'Orient.

Par la farce, Covielle, le valet de Cléonte, met le bourgeois au rang de grand Mamamouchi et Lorient redécouvre ses racines. Une belle chose que de voir la cité bretonne renouer avec son passé oriental par cette porte.