Télérama
7 janvier 2012 · E.B.
GUANTANAMO / FRANK SMITH · LA PLACE ROYALE / CORNEILLE
Parce qu'il considère que les acteurs français composent une population trop homogène, le metteur en scène Éric Vigner a réuni en son Théâtre de Lorient une "Académie" de sept interprètes aux origines sociales et géographiques variées, venus d'Europe, d'Asie ou d'Afrique.
La jeune troupe s'est fait les dents sur deux textes différents : les procès-verbaux des interrogatoires des prisonniers de Guantànamo, traduits et agencés par Frank Smith dans un style le plus neutre possible, et les vers du jeune Corneille dépeignant les atermoiements d'amants néophytes face à l'engagement. Le projet est vertueux. Mais, hélas, déséquilibré ! Si Guantànamo convainc, La Place Royale déçoit, malgré un beau décor labyrinthique déplacé par les acteurs eux-mêmes... Corneille résiste à ces apprentis ! Leurs accents achoppent sur la langue du XVIIe, qui semble presque devenir un carcan pour leurs corps...
Avec GuantAnamo, au contraire, la multiplicité des langues citées sur scène renforce la proposition. Elle connote ce monde global où les idéologies comme les guerres se répandent aussi vite qu'une connexion Internet. Autour d'une table de bois, les "académiciens" se relayent, tour à tour inquisiteur au ton administratif ou prisonnier las et blasé par les questions. Sans ciller, ils font entendre ce berger nomade tombé au milieu de la guerre, ou ces voyageurs des frontières, entre Peshawar et Kaboul, dont les motivations seront à jamais obscures. Hommes manipulés, pris dans la nasse, finalement broyés par des mécaniques qui les dépassent.