Le théâtre des leçons de morale creuses · The Guardian 16 avril 1992 · GREGORY MOTTON
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Le théâtre des leçons de morale creuses
GREGORY MOTTON
Article de Gregory MOTTON paru dans "The Guardian" du 16.4.92 (Londres); (traduction de Nicole Brette)
L'auteur dramatique Gregory Motton attaque le théâtre sans risque, conservateur de HOWARD BRENTON.
J'ai été ravi de lire qu'HOWARD BRENTON déclarait dans le Guardian la semaine dernière que "les pièces engagées" que sa génération d'auteurs ont "inventées", étaient devenues maintenant une "convention morte". En tant qu'auteur de la jeune génération, je suis enchanté d'apprendre qu'il projette de devenir un rebelle contre "l'orthodoxie officielle" qu'il a "aidé à construire". Mais au cas où cette conversion-chemin de Damas s'avérerait être seulement un accès de fièvre causé par une excitation prématurée à la perspective d'un nouveau gouvernement, j'aimerais danser sur la tombe de sa convention morte.
Le cadavre est énorme, il s'étale dans le théâtre tout entier. C'est difficile de trouver quelqu'un qui ait des avis plus éclairés que ce nouveau Mr Brenton, étant donné que, pratiquement, tout le monde pense que le théâtre est une forme de critique sociale. Nous avons un théâtre basé effectivement sur l'engagement. Il offre une denrée simple et très traditionnelle ; une culture conservatrice qui se pense radicale. Un produit paradoxal de l'époque.
Les auteurs engagés politiquement estiment avoir un radicalisme artistique qu'ils ne possèdent pas. Des auteurs, dont la conscience est façonnée par ce qu'ils lisent dans les journaux, écrivent des pièces plutôt moins stimulantes que le journalisme, moins pénétrantes que les biographies et les livres factuels dont elles dérivent. Les limitations de l'idéologie politique ne sont ni appropriées ni souhaitables pour un moyen d'expression artistique. L'art, s'il tient de quelque chose, tient de la vérité, une tentative vaine, vouée à l'echec, d'atteindre la vérité - le contraire de la politique, qui n' est pas vaine mais a un but précis, et qui prévoit non d'échouer mais de réussir, et est, c'est bien connu, pleine de mensonges (pas les mensonges des politiciens, mais les mensonges de la simplification). Elle traite, comme le théâtre qu'elle engendre, du connaissable et du connu, alors que l'art traite de l'inconnaissable et de l'inconnu.
Le théâtre engagé décrit ce qui va de soi aussi efficacement que possible. Même s'il ne fait rien de plus, il considère qu'il réussit. Verdi disait que décrire la vérité est une chose, l'inventer est de l'art. Pour inventer la vérité, l'artiste doit descendre dans l'inconnu sans limite de l'âme humaine ; résister à l'évident et aller au coeur enfoui des choses où le sens même est rare. Il ne peut pas savoir ce qu'il trouvera, il doit réfréner son jugement, être illogique et obstiné, obscène et injurieux. Il ne peut avoir aucun but et ne peut jamais l'atteindre.
Ceci est très différent du monde sans risque, extérieur, du théâtre engagé où des méfaits sont commis et dénoncés, où d'autres personnes sont coupables d'injustices. Le ton moralisateur a une résonance victorienne qui sonne creux. Et comme le Victorien moralisateur, qui se caractérise par son manque de vraie sensibilité morale, l'auteur engagé a une puissance politique discutable.
Les gens qui vont voir HOWARD BRENTON et David Hare "fouiller ce vieux cimetière" de South Bank ne saisissent pas ce qu'ils regardent, en dépit de toute cette simplification et de la perfection formelle tant vantée - il suffit de regarder ces pourceaux passer à grands pas devant les mendiants en sortant (le nez en l'air, pour s'en rendre compte.
Mais puisqu'ils ne vont pas écouter, pourquoi ne pas leur dire quelque chose qui vaille la peine de ne pas être écouté ? Je n'ai rien contre les cimetières - nous devrions tous y passer beaucoup de temps - mais pendant que nous sommes dans l'un d'eux, nous devrions parler le langage des morts, de l'âme immortelle vivante, un langage intérieur, obscur, difficile, parfois incompréhensible. Si le climat politique polarisé a affecté le théâtre, c'est parce qu'il l'a conduit à ne rien tenter qui ne soit, de même, polarisé, noir et blanc, superficiel.
Dans un autre article paru récemment dans ce journal, Michael Billington s'est plaint que la nouvelle écriture "individualise l'expérience". Il s'est plaint "d'une retraite palpable hors des réalités sociales" et a réclamé une "vibrante réaction à la pression de l' époque". Cette sorte de conservatisme culturel incarne pour moi la pression de l'époque ; il se manifeste par les platitudes du jargon de théâtre qui confond ses productions conventionnelles et sans audace avec "l'innovation". Il a châtré le théâtre artistiquement, probablement même politiquement.
Billington a demandé pourquoi il n'y avait pas de place pour les nouveaux auteurs, les nouvelles pièces. C'est parce que la place est réservée aux vieux auteurs et aux vieilles pièces. Richard Eyre dans une interview récente disait qu'il était toujours à l'affût "d'auteurs nouveaux, nouveaux". Mais on attend des voix nouvelles qu'elles disent exactement la même chose que les vieilles et, qui plus est, qu'elles le disent exactement de la même façon. Si quoi que ce soit d' autre arrive à se faufiler jusqu' à un studio-théâtre, c'est étouffé dans l' oeuf aussitôt.
L' argent et les réductions de subventions, ce n'est pas le problème. Sans changement esthétique, plus d'argent voudrait dire plus de la même chose. Les programmes des petits théâtres désargentés sont identiques à ceux des grosses institutions et ne sont que des vitrines pour des organisateurs confiants dans les retombées de la promotion.
Il n'y a aucune tension entre le haut et le bas, aucune colère, aucun désaccord. Ce qui monte est la même chose que ce qui est en haut. Ce qui passe pour de la rébellion est de la conformité - la hardiesse fait ce qui est le plus facile. Dites-nous ce que nous savons déjà et nous l'appellerons innovation. Même le sens des mots a été absorbé par l'orthodoxie putride.
Alors je ne voudrais pas dire que des foules de génies empêchés attendent dans les coulisses - je ne pourrais pas le savoir et la pourriture est entrée très profondément - mais il y en a qui ne veulent pas endosser le manteau de la succession qu'on leur jette d'en haut.
Mais prenez garde ! Ils vivent dans le désert, ce qui devrait être le meilleur endroit pour eux. Aussi ils ne se soucient probablement pas beaucoup du théâtre même. Ils ne chevaucheront pas des destriers blancs pour sauver le chien qui les mord de la damoiselle qu'il garde, alors qu'ils peuvent aussi bien la traîner derrière le rocher pendant que personne ne regarde. La damoiselle est bien sûr un symbole. Et la grande nouvelle c'est qu'un symbole ne représente pas quelque chose - c'est quelque chose...
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