Les Inrockuptibles · 25 novembre 2008 · OTHELLO

Les Inrockuptibles · 25 novembre 2008 · OTHELLO
Othello contemporain et éternel.
Presse nationale
Avant-papier
Fabienne Arvers
25 Nov 2008
Les Inrockuptibles
Langue: Français
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LES INROCKUPTIBLES

Du 25 nov. au 1er déc. 2008 - N°678 · Fabienne Arvers

De la jalousie, de la traîtrise et de l'étrange condition d'étranger : OTHELLO contemporain et éternel.

Deux escaliers monumentaux et deux vastes portants constellés de trous, à la façon d'un moucharabieh évoquant les origines du Maure Othello, blancs d'un côté et noirs de l'autre, glissent sur le sol, quand ce n'est pas le sol lui-même qui glisse et transporte les acteurs. Une valse à trois temps : l'amour et la gloire, puis la jalousie, et enfin la mort. La scénographie imaginée par ÉRIC VIGNER illustre la lecture dramaturgique qu'il propose avec RÉMI DE VOS dans leur nouvelle traduction et adaptation d'OTHELLO. À elle seule, elle façonne d'acte en acte l'architecture mentale d'OTHELLO, telle qu'observée par SHAKESPEARE, bien avant que René Girard en décompose le processus dans La Violence et le Sacré : une rivalité mimétique aveuglante, qui efface le réel pour y imprimer la noirceur de ses visions illusoires.

Une mécanique implacable et irrésistible qui saccage tout sur son passage. Tel se présente le couple Iago (Michel Fau, onctueux jusqu'à la tartufferie) - Othello (Samir Guesmi, à l'élégante détresse). À la différence près que Iago croit pouvoir régler ses désirs et sa jalousie sur la puissance de sa volonté - "C'est par nous-mêmes que nous sommes ça ou ça, notre corps est notre jardin et notre volonté le jardinier" -, quand Othello subit le poison sans pouvoir s'en défendre. Mais tous sont aveuglés par ce "monstre aux yeux verts qui se joue de la proie qu'il dévore" (Iago), et qui place face à face deux couples qui ne se voient pas tels qu'ils sont : Emilia, épouse de Iago et proche de Desdémone, sait bien, elle aussi, que la jalousie "est un monstre qui s'engendre de lui-même", mais tombe des nues lorsqu'elle réalise son emprise sur Iago. Surtout, tous sont mus par un objet, le mouchoir magique qu'Othello tenait de sa mère et offrit à Desdémone. Subtilisé par Iago, c'est lui que l'on reconnaît, agrandi, dans la scénographie, encerclant de ses motifs troués le champ d'action des personnages, jusqu'à leur reddition finale.

Mais à travers lui et la malédiction qu'il répand de génération en génération, cet OTHELLO nous incite à constater les effets d'une autre malédiction, historique celle-ci, comme le dit Patrick Chamoiseau du colonialisme. "Venise et Chypre pour SHAKESPEARE, la France et l'Algérie pour ÉRIC VIGNER : "OTHELLO demeurera l'Etranger ; et l'étrange travail de mort qui s'opère dans cette pièce ne sera sublimé par rien. C'est un désert que l'on voit."