Ouest France
8 octobre 2008 · Jérôme Gazeau
Dans Othello, Michel Fau est dans le vrai
Spectacle léché, la nouvelle mouture du Shakespeare version Vigner / De Vos est portée par l'hallucinant interprète du monstre lago.
"Shakespeare aurait pu appeler sa pièce lago, c'est un rôle sublime pour un acteur." Émanant d'un professionnel du spectacle, à l'issue de la première représentation d'Othello, lundi, le propos fait "tilt". Bien sûr, c'est évident ! Toute la pièce n'existe que par ce personnage qui incarne si bien le mal. Fourbe, dissimulateur, lèche-bottes, serpent prêt à tout pour se venger de son maître, cette boule puant la haine qu'est lago est un rôle en or. Et Michel Fau son maître-orfèvre. Cet acteur est possédé. On ne se lasse pas d'écouter sa voix qui flûte et casse comme celle de Claude Pieplu. Il est là, sur scène, avec sa coupe au bol, ses airs de faux-cul, les yeux qui roulent dans les orbites. Dans la salle, on prie qu'un tel gars ne vous prenne jamais en grippe : y'a pas pire venin.
Bel ouvrage
Pour Othello, c'est trop tard. Le Maure aux commandes de l'armée vénitienne n'a pas promu son enseigne au poste de lieutenant ? Il va payer pour ça, et très cher : expert de l'âme humaine et de l'Enfer, lago entraînera son patron, sur le chemin sans retour du meurtre (de sa femme) et du suicide. Samir Guesmi incarne un Othello étrange, quasiment flottant, longue silhouette taillée à la Giacometti, bien loin en tout cas de l'image déjà véhiculée du guerrier sanguin anéanti par la jalousie.
La traduction opérée par Éric Vigner et Rémi de Vos sur le texte de William y est sans doute pour quelque chose. Intéressante au demeurant : ses concepteurs la voulaient en phase avec notre jargon contemporain. C'est réussi.
Exemple : quand lago, parlant de Desdernone (très digne Bénédicte Cerutti) à Roderigo, répond "Pleine de grâce, mon cul !", ça roule autrement dans la bouche de Michel Fau que I'"Angélique, queue de figue !" pondu par FranCois-Victor Hugo, grand traducteur de Shakespeare au XIXe siècle.
Que dire encore de cette création lorientaise promise à un bel avenir ? La mise en scène signée par Éric Vigner est léchée, qui balance entre le chaud et le froid à la mesure des éclairages qui balaient la scène.
Le décor accentue ces écarts immenses de température, puisque tout ici n'est que métal : les escaliers gigantesques mais aussi d'immenses panneaux articulés qui, en un rien de temps, deviennent muraille, moucharabieh (la "jalousie" orientale) propice aux écoutes et regards indiscrets, et même lampe orientale incandescente au final. Du bel ouvrage.