Le Télégramme
13 novembre 2000
RHINOCÉROS une pièce contemporaine
ÉRIC VIGNER a choisi RHINOCÉROS de IONESCO pour ouvrir la saison 2000-2001 du CDDB-Théâtre de Lorient.
Une heure quarante-cinq de plaisir simple, au cœur d'un imaginaire qui touche à l'essentiel de la condition humaine. Sophistiquée dans son minimalisme, la scénographie de RHINOCÉROS impose le respect et réjouit l'exigence esthétique. Un monstrueux rhinocéros est couché en fond de scène, massif et immobile, mais qui, jamais, ne lasse de sa présence. Témoin inerte et abattu du drame de l'homme, à la fois tête froide exacerbée dans sa peur d'exister et cœur en émoi qui s'assume. Une ville dans laquelle, un à un, les habitants vont se transformer en rhinocéros, sauf un.
Logique contre elle-même
IONESCO écrit. Vigner apporte la facilité de la lecture. Ils décrivent un monde où il est facile et rassurant de tenir des raisonnements factices qui conduisent à l'absurde et au syllogisme puis au constat de peur. La peur de l'inconnu, de la découverte, et aussi la tentation, consciente ou non, de devenir un animal brutal et puissant, qui charge sans savoir ce qu'il écrase, sans état d'âme. IONESCO démonte la logique par la logique même. Seul le rêveur ou le poète, ouvert aux surprises de la découverte de son être, saura résister, après avoir essayé, lui aussi, d'oublier la condition humaine jusque dans l'amour d'une femme, et dans la tentation de se glisser dans la peau du pachyderme. Mais sans enfin céder à la tentation, restant fidèle à luimême. "Je ne capitulerai pas".
Contemporain
La mise en scène d'ÉRIC VIGNER fait évoluer les personnages jusqu'aux limites de leur humanité, blafards et mécaniques ou enrobés de fragilité avouée. Les rhinocéros se multiplient et tous disparaissent. Tous rhinocéros, comme les enfants devenus ânes dans Pinocchio. Aucune outrance dans le jeu des comédiens, seulement le temps pris dans la diction pour que le texte d'Ionesco délivre toute sa force et sa délicatesse, sa violence et sa poésie. On note la remarquable prestation de Jutta Johanna Weiss, révélée à Lorient dans Marion De Lorme. Elle sait faire preuve d'un étonnant charisme, d'un timbre et d'une diction enflammés, présence troublante raffinée qui sait basculer dans la caricature. Le thème de cette création reste plus que jamais contemporain.