Libération
16 janvier 2007 · René Solis
Jusqu'à ce que la mort nous sépare, pour de rire
Comédie cruelle dans l'esprit du vaudeville, la pièce de Rémi De Vos présentée au Rond-Point casse les repères.
Trois personnages - la mère, le fils, la fiancée - autour de l'urne funéraire de la grand-mère : Jusqu'à ce que la mort nous sépare est une comédie familiale, donc cruelle; le vase se brise et les cendres inopinément répandues vont déclencher une catastrophe. Dans cette veine, difficile de surpasser le Suédois Lars Norén, auteur de la Veillée, où deux frères s'affrontent autour des cendres de leur mère. La pièce de Rémi De Vos est moins dramatique. L'humour noir chez lui n'est pas tant affaire de suspens psychologique, que de menus accidents - quiproquos, mensonges, actes manqués, dans la tradition du vaudeville. La mise en scène d'ÉRIC VIGNER au Théâtre du Rond-Point, s'amuse à casser les repères. Les personnages évoluent dans un univers étrange, une chambre d'apesanteur à mille lieues de "l'intérieur d'une petite maison, en province", où est censée se dérouler la pièce. Les éléments réalistes sont ici des trompe-l'oeil: ainsi les stores vénitiens placés au fond devant les baies vitrées, n'ouvrent pas sur le jardin, mais sur un mur de briques. Et si les acteurs effectuent des parcours compliqués pour se retrouver ensemble, ils sont seuls à distinguer les portes et les couloirs de ce qui ressemble à un labyrinthe invisible.
Tous trois sont d'autant plus en harmonie qu'évoluant dans des registres très différents: Catherine Jacob qui joue Madeleine (la mère) assume l'héritage d'un boulevard que revendique aussi l'auteur. Gouaille, autorité, instinct, il y a en elle une fibre Jacqueline Maillan - qui joua l'un de ses derniers rôles sur cette même scène du Rond-Point dans Retour au désert de Koltès par Patrice Chéreau. Plus évanescente - elle parle peu et ne finit pas toujours ses phrases -, Claude Perron (Anne) rappelle plutôt une actrice de cinéma Nouvelle Vague.
Plus étrange encore, Micha Lescot (Simon) achève de donner à la soirée une dimension fantastique. Jeune homme fil de fer, sans hanches ni épaules, il a, dans son costume noir étriqué, des airs méphistophéliques. Mais il y a aussi du Jean-Pierre Léaud dans cet ado tête à claques qui croit tirer les ficelles et se retrouve à la merci des deux femmes qu'il avait cru fuir. À ces références un rien rétro, il convient d'ajouter Marguerite Duras, auteur de prédilection de Vigner, qui trouve dans l'écriture de De vos répétitions, phrases courtes et points de suspensions propices au ralentissement du débit pour les acteurs.
Mis au service d'une pièce par ailleurs fort simple dans sa construction - une histoire linéaire à l'argument ténu- ces savants décalages éclairent ce qu'ÉRIC VIGNER appelle l'"intérieur tentaculaire" ou la "part cachée de l'iceberg". Auteur associé depuis dix ans au Centre dramatique de Lorient, que dirige Vigner, Rémi De Vos, qui est né en 1963, a écrit une dizaine de pièces. Dont plusieurs, outre Jusqu'à ce que la mort nous sépare, doivent être mises en scène prochainement dans différents théâtre.