La Marseillaise
13 novembre 2006 · Denis Bonneville
Des bulles de savon noir
Eric Vigner met en scène Jusqu'à ce que la mort nous sépare, texte acide de Rémi De Vos où un homme se retrouve pris en tenailles par sa mère et son premier amour...
"Une comédie d'humour noir pour acteurs infernaux", "une pièce diabolique, entre complot et boulevard", voilà comment Eric Vigner, directeur depuis 10 ans du Centre dramatique de Bretagne - Théâtre de Lorient, décrit Jusqu'à ce que la mort nous sépare, qu'il vient présenter sur la scène du Gymnase à partir de demain : "au moment du décès de sa grand-mère, un homme retrouve sa mère avec qui il avait coupé les ponts, et son amour de jeunesse, qu'il n'a pas oublié. Mais la machine, ici, est poussée très loin, dans les griefs et les explications, de façon très cruelle et très drôle", se réjouit-il. "Comme Feydeau, l'inconscient est très noir sous une apparence légère. Comme des bulles de savon noir..."
De Vos / Duras : écritures-iceberg
Un texte signé Rémi De Vos, auteur associé au CDDB de Lorient depuis 1996 : "Travailler avec des auteurs, c'est essentiel ; le 17e c'est bien, j 'y reviens de temps en temps, mais quand il s'agit d'auteurs comme De Vos, et de toute une génération actuelle qui est très intéressante, très exigeante, c'est primordial de les porter sur scène".
Fanatique de Duras, qui lui avait confié, après avoir vu sa version de La pluie d'Eté en 1993, le scénario d'Hiroshima mon amour, augurant l'été dernier d'un "double" spectacle au cloître des Carmes avignonnais , il trouve même des parallèles avec l'immense Marguerite : "Une écriture de musicalité, révélatrice d'inconscient, tout en simplicité. Comme chez Pinter, l'écriture de Duras et De Vos reste de surface, on n'a que l'écume de l 'histoire, comme la pointe d'un iceberg, qui laisse à l'acteur et au metteur en scène le soin d'en construire les profondeurs. Mais Duras avait une écriture féminine, éminemment. Ce qui n'est pas le cas de De Vos, et c'est ça qui est intéressant, Bref c'est un bonheur, et c'est rare".
Réputé pour ses scénographies, Vigner ne veut pas trop dévoiler l'écrin dans lequel évoluent Catherine Jacob ("une actrice magnifique, qui n'est pas d'une seule teneur, idéale dans cette mère-mante religieuse"), Micha Lescot - avec lequel il a déjà travaillé, en 2003, sur un texte de Dubillard et, en alternance, les sœurs jumelles Claude et Hélène Perron : "Simon, dans l'histoire, retourne à l'origine, à la matrice, pris physiquement à l'intérieur d'une lignée de femmes. L'espace scénique évoque cette "pyramide"-là..."
Pour ses projets, outre les expériences musicales auxquelles, des grands opéras aux pièces baroques inconnues - en complicité avec Christophe Rousset, il est désormais un habitué, Eric Vigner pense "continuer avec Rémi De Vos, et poursuivre l'aventure de Lorient. Il y a également des projets à l'étranger...", lance-t-il sans vouloir en dire davantage. Et Duras, en a-t-il fait le tour, comme pourrait le laisser penser sa "boucle bouclée" avignonnaise avec Pluie d'été à Hiroshima ? "C'est impossible de faire le tour de ce génie... Je retournerai à Duras, c'est comme la cigarette, pour ne pas dire autre chose..."