Esprit de Tristan · Frédéric Boyer
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PREMIER CONTACT PERDU. Midi, il fait nuit. Parle, parle, ils sont là. Premier contact perdu. Je les perds, je les perds. Contact lointain. Revenez. Hé ho. Aidez-moi. C’étaient eux. Nous avions si bonne compagnie. Nous étions sur le point de. Commencer quelque chose de nouveau. Comment faire. Quoi dire. Mais enfin tu vois bien. Nous sommes revenus chez nous ce Royaume. Oh Seigneur aie pitié d’eux. Vain de fermer les yeux maintenant. Des baisers sur les restes. C’est tout. Rêves à moitié. Mais ce sentiment de les avoir là. À portée de voix. Je les ai perdus. Ça ne tient à rien. Nous étions comme le feu qui chauffe si heureux. Premier contact perdu. C’étaient eux. Les mêmes. J’en suis sûr. Vous êtes là ? Craque une allumette pour voir. Comme on ferait pour dire adieu. Ils errent pour rejoindre d’autres corps et pour s’en séparer. Je nous surprends à être émus. Tu pleures. Tu ne pleures pas. Ne restent que de toutes petites significations qui scintillent dans l’espace noir autour de nous. Des significations indéchiffrables comme ça. Des radeaux minuscules. Toi et moi. Maudits soient nos yeux cernés.
Cette histoire
je l’ai trouvée à mon tour.
Nombreux me l’ont racontée et dite
et je l’ai trouvée par écrit
— de Tristan et de la reine
de leur amour extrême
qui leur a fait si mal
jusqu’à mourir tous les deux
le même jour.
Cette histoire
— celle des vies qui s’aiment
et qui une fois perdues
ne savent pas résister au désir
de se perdre encore.
Écoutez la merveilleuse aventure
de ces gens qui sont d’étrange nature
et ne se fixent nulle part.
Qui sont de nature si changeante
qu’ils ne peuvent le pire abandonner
ni le meilleur préserver
toute leur vie ne cherchant
que changement et nouveauté.
Gens délogés
avec grande souffrance
l’amour forçat
vous maltraite.
Oh combien durera
votre folie ?
TU VERRAS UN SOIR débarquer sur une plage de l’ouest un très jeune homme excessivement beau de cette beauté qui donne envie de mourir. Tu verras un soir débarquer sur une plage de l’ouest un très jeune adolescent descendant d’Ulysse avec une allure de gamin de quatorze ans et celle d’un spectre vivant aussi vieux que la tragédie du monde. Il fera en silence l’éloge des combats de la drogue de l’amour et du suicide. Tu verras un soir débarquer sur une plage de l’ouest un très jeune homme excessivement beau qui ressemblera à ces enfants soldats que des pères tyrans modernes ont envoyé mourir dans des guerres perdues d’avance. Mais il finira par avouer la réalité insupportable de sa condition l’acte pur de sa condition d’amant. Adulte ? jamais il ne vieillira ne grandira jamais mais restera fidèle à la poignante monotonie de la jeunesse qui se sait abandonnée. Il ressemblera à ces très jeunes gens pour qui les femmes sont encore des inconnues défilant sur les podiums de leurs rêves contemporains. Ils savent soudain qu’ils devront avant la fin de la nuit prendre une décision. Il revient ce jeune homme te chercher lui qui vit dans l’action enfantine et mortelle qui a conquis des terres et des îles qui a tué déjà des armées entières et abattu le monstre gardien de ton existence de petite fille choyée dans les glaces d’un amour paternel. Il revient pendant que je te vois aujourd’hui encore défiler sur les plateaux exhibitionnistes et voyeurs et t’ensevelir en pleurant dans la lumière morte des astres. La première chose dont il s’est souvenu de toi ce sont tes beaux cheveux d’or électriques qu’une hirondelle dans son bec un soir lui rappela. La première chose ce sont tes yeux de cette tendresse pathétique du cinéma muet. Lui qui est aimé par la force et le pouvoir d’un vieux roi soldat d’autrefois rattrapé par le cauchemar répétitif des guerres et des morts lui qui est aimé de ce roi comme Ivan Illich agonisant aima son valet de ferme comme Thésée aima dans la mort Hippolyte il revient te chercher. Avec son désagréable petit sourire de très jeune héros victorieux frappé d’une beauté antique mais blessé pour toujours il vient te ramener pour comme une proie comme une putain t’offrir selon sa promesse faite à ce vieux roi célibataire qui assiste impuissant au défilé de sa victoire par procuration à ce vieux roi épouvanté qui assiste à ses noces et à l’Office des morts.
TRISTAN
La boisson sur le bateau
a volé mon cœur et mes esprits.
Je ne pense plus à rien
d’autre qu’à servir l’amour.
Malheur malheur
mon esprit devient fou.
YSEUT
Je suis épuisée et j’ai si mal.
Pourquoi la jeunesse
pour dans les bois n’être
qu’une esclave ?
Pourquoi être reine
et le nom de reine
l’avoir perdu dans le poison
que nous avons bu en mer ?
Je suis si faible hélas.
Vivre est une souffrance.
Je n’ai connu que le malheur
sur cette terre étrangère.
Tristan le maudit
à cause de toi je suis désespérée.
Tu m’as amenée dans ce pays
où malheureuse je suis tous les jours.
Et mon mari me fait la guerre.
Tu m’as enlevée à mes parents
et à l’amour de tous les autres gens.
TRISTAN
Mon amour je veux te crier pitié.
Souviens-toi de ce prisonnier
qui est épuisé et souffre tant.
C’est moi qui n’ai plus rien que mourir.
Longtemps dans les bois sans pain
ils vivent de gibier seule nourriture.
Impuissants perdent leurs couleurs
habits déchirés
blessés par les branches.
Chacun souffre d’une peine égale
mais l’un pour l’autre oublie son mal.
YSEUT
Tu ne m’aimes pas ni moi je ne t’aime
que de ce vin aux herbes que j’ai bu
et que tu as bu.
Pour ce poison le roi nous a chassés.
Mais j’ai si peur
que tu regrettes tout
à cause de moi.
TRISTAN
Je ne supporterai pas
maintenant que tu as tout quitté
pour moi
que tu puisses regretter notre folie.
YSEUT
Moi je suis déchirée.
Je te veux Tristan et c’est impossible.
Mais au roi je dois tenir
je ne le peux abandonner ni laisser
ni je ne peux avoir avec lui de plaisir.
J’ai son corps mais ne veux pas son cœur.
C’est une torture que j’endure.
L’autre est de te désirer Tristan
depuis que Marc nous a interdit
de nous parler tous les deux
quand moi je ne peux aimer
un autre que toi.
TRISTAN
Dans mon cœur je sens très bien
que tu ne m’aimes pas vraiment
ou plus du tout
car si dans ton cœur tu m’aimais
tu me consolerais.
YSEUT
Mais de quoi ?
TRISTAN
De cet ennui
de cette souffrance.
YSEUT
Et où te trouverais-je ?
TRISTAN
Là où je suis.
YSEUT
Je ne sais sur quelle terre.
TRISTAN
Non ? et bien fais-moi chercher.
YSEUT
Pour quoi faire ?
TRISTAN Pour ma douleur.
PREMIER MESSAGE REÇU DANS LE NOIR TOTAL. La vitesse de deux corps qui se séparent. Plus la vitesse de la séparation augmente plus l’attraction se renforce. Pour mettre entre eux des distances astronomiques comme deux corps célestes propulsés par le chagrin et l’amour qu’une attraction physique, une sorte de gravitation exceptionnelle, rapprochent dangereusement. Corps dont la fuite à travers l’espace et le monde n’a d’autre but que de retrouver l’amour du corps qui leur manque. Corps entraînés par le poids de leur amour jusque dans les profondeurs du ciel comme un océan inversé.
Yseut voit Tristan désespéré et sa douleur veut partager comme l’amour qu’elle partagea avec lui qui pour elle se désespère. Oui partager avec Tristan et la douleur et les efforts.
Pour lui elle s’inflige de grands supplices contraires à sa beauté et vit en grande tristesse. Elle ne devient son amie qu’en pensée avec de grands soupirs et s’interdit beaucoup de ses désirs.
TRISTAN
Mieux vaut mourir.
mieux vaut mourir vraiment
que subir à ce point le tourment.
Mieux vaut vraiment mourir
que toujours malheureux languir.
Je ne sais plus quoi faire quand je ne te vois pas.
À cause de toi je suis rempli de peur.
Nuit et jour sans repos quand je ne te vois pas
je deviens fou mais je ne le suis pas.
Je ne sais plus quoi faire à cause de toi.
Je ferai le fou je mettrai un habit de folie noire.
Pour toi je me ferai raser et tondre.
Pour toi je ne finirai jamais d’errer
tant que je serai encore capable de marcher
vers toi où que tu sois.
Entre nuages et le ciel
de fleurs de roses
loin du gel
là je ferai une maison
où jouir toi et moi
l’un de l’autre.
Je vais vous dire aussi
d’où je suis et ce que je viens chercher.
Ma mère était une baleine
qui hantait la mer
comme une sirène.
Et si je ne sais où je suis né
je sais surtout qui m’a nourri.
Une grande tigresse m’a allaité.
Sur un rocher elle m’a trouvé.
Sur un roc elle m’a trouvé
et m’a pris pour son petit
et m’a nourri à sa mamelle.
Si vous la revoyez là-bas
dites-lui bien salut de ma part.
Salut impossible pour moi sans elle
que je salue de tout mon cœur
jusqu’à en perdre le salut.
Oui tout mon cœur la salue.
Sans elle santé ne me sera rendue
je lui envoie tout mon salut.
Consolation ne me sera jamais rendue
ni salut ni vie ni santé
si par elle ne me sont apportés
si elle mon salut ne m’apporte
et de sa bouche ne me console.
Ma santé avec elle donc restera
et moi je mourrai avec mon chagrin.
Enfin dites-lui que je suis mort
si elle ne vient pas me consoler.
Décrivez bien ma douleur
et le mal qui me désespère
et qu’elle vienne me consoler.
Dites-lui que maintenant
elle se rappelle
du plaisir et de la jouissance
que nous avons eus nuit et jour
de l’immense peine de la tristesse
de la joie de la douceur
de notre amour juste et vrai
quand jadis elle a guéri ma plaie
qu’elle se rappelle de la boisson
que nous avons bue
ensemble sur la mer
et qui nous a emportés.
De mes douleurs qu’elle se souvienne
et que j’ai souffert de l’avoir aimée.
J’en ai perdu tous mes parents
mon oncle le roi et tous ses hommes.
Comme un criminel j’ai été chassé
exilé sur des terres inconnues.
J’ai tant souffert de peines et de travaux
que je suis à demi vivant
et moins que rien devenu.
Notre amour notre désir
jamais personne n’a pu nous en séparer.
Angoisse peine et douleur
n’ont pu briser notre amour.
On a pu séparer nos corps
mais l’amour on n’a pu
nous en séparer.
Alors vous prendrez mon beau bateau.
Vous emporterez deux voiles
l’une sera blanche l’autre sera noire.
Si vous pouvez
emportez Yseut.
Si elle revient guérir ma plaie
revenez alors avec la voile blanche.
Si Yseut ne revient pas
revenez avec la voile noire.
Et qu’elle se souvienne de moi
échec et mat
vaincu et détruit.
Je suis Tristan
triste vivant
et souffrant.
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