Corps célestes · Madeleine Louarn
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Corps célestes
« Dans un stupide moment de distraction, Plume marcha les pieds au plafond au lieu de les garder à terre. Hélas, quand il s’en aperçut, il était trop tard. (...) Malheur, malheur, toujours attaché aux mêmes, tandis que tant d’autres, dans le monde entier, continuaient à marcher tranquillement à terre, qui sûrement ne valaient pas beaucoup plus cher que lui. (...) Tu pourrais essayer peut-être toi aussi?»
— Plume, Henri Michaux, 1938
Nous sommes à quelques mois de la Seconde Guerre mondiale. Tandis que Michaux explore ses «lointains intérieurs» et dit tout le désarroi d’être au monde via son double, Plume, des dizaines de milliers de malades mentaux sont soustraits aux regards de la société dans des asiles surpeuplés, coupés du monde extérieur.
Le premier verrou saute en 1942, lorsqu’un petit groupe de psychiatres fait voler en éclats les murs d’enceinte de l’asile vétuste de Saint-Alban-sur-Limagnole, en Lozère, pour amorcer la plus formidable aventure de la psychiatrie d’après-guerre. La forteresse isolée dans les montagnes de la Margeride devient bientôt un lieu de rencontres et de confrontations ouvert aux quatre vents. Un haut lieu de résistance aussi : l’asile accueille des médecins et des malades en cavale, des philosophes maquisards, des poètes entrés dans la clandestinité, comme Éluard, Queneau et Tzara, qui cohabitent et collaborent avec les pensionnaires de l’établissement. Des idées et des poèmes circulent, de l’art brut se crée, des tracts fusent, tenant à distance les pulsions de mort de patients qui se voient distribuer de nouveaux rôles et reprennent pied dans la vie sociale.
À la Libération, tandis que la moitié de la population hospitalisée dans les centres psychiatriques du pays a disparu, victime de la famine et de l’incurie des soignants, Saint-Alban sera le seul centre de France à n’avoir perdu aucun patient. La psychanalyse institutionnelle est née. Elle se trouvera bientôt une autre place forte, la clinique de la Borde, à Cour-Cheverny, autour de Jean Oury et de Félix Guattari, figures des mouvements de contestation de la psychiatrie. Une expérience dont témoigne le très beau documentaire de Nicolas Philibert, La Moindre des choses, qui filme les répétitions et une partie de la représentation d’une pièce de théâtre, Opérette de Witold Gombrowicz, interprétée par des patients de l’établissement. L’art, là encore, a une place nouvelle, centrale.
Éprise de philosophie et de sciences sociales, Madeleine Louarn n’ignore rien de ces expériences qui ont bouleversé le paysage de la psychiatrie. Jeune éducatrice spécialisée, elle s’en inspire en signant elle-même son entrée dans le monde du théâtre par la pratique de la mise en scène avec des acteurs handicapés mentaux. En 1984, elle crée Catalyse, une compagnie de théâtre amateur qui devient bientôt permanente et professionnelle, au sein du centre d’aide par le travail de Morlaix. Presque trente ans plus tard, Catalyse a monté des pièces de William Shakespeare, Samuel Beckett, Lewis Caroll, Daniil Harms, Ribemont-Dessaignes,
Armand Robin, Luzel… et développé ses propres créat ions en cherchant en permanence de nouveaux modes de jeu et de représentation.
Depuis 2008, Madeleine Louarn est artiste associée du CDDB-Théâtre de Lorient, CDN : « Je ne m’étais jamais liée de la sorte à une institution. C’est précieux, explique-t-elle. Il y a un accueil, un soutien, une attention, des connexions. Cela permet de rendre les choses visibles et surtout possibles ! Et puis, avec Éric Vigner, nous avons des affinités esthétiques, un goût pour le décalage et la précision. Il y a comme un lien de parenté. » Au mois de mai, Catalyse était en résidence au CDDB avec les sept acteurs handicapés de sa troupe et les membres de son équipe — dont le chorégraphe Bernardo Montet — pour la création des Oiseaux, une pièce d’Aristophane qui sera présentée au mois de novembre au Théâtre de Lorient. Nous avons rencontré Madeleine Louarn à cette occasion.
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Madeleine Louarn : « Je suis issue d’un milieu paysan. La question artistique était étrangère dans mon entourage. Et je n’aspirais pas du tout à aller vers ces domaines-là. D’aussi loin que je me souvienne, l’artiste était quelqu’un qui venait d’un autre monde. Et puis, à l’époque, mon père venait de mourir, et j’étais dans une situation financière précaire. Le bac en poche, j’ai dû m’orienter vers une carrière qui me corresponde et me permette de travailler rapidement. Je me suis dirigée vers le secteur social, presque sans y penser. Et puis, en sortant de l’école d’éducateurs, j’ai trouvé du travail à Morlaix dans une institution où les équipes travaillaient autour de ce qu’on a appelé « la psychothérapie institutionnelle ». Il s’agit d’une approche qui partait du principe que les gens ne se transforment pas tous seuls, mais en fonction de la place, de l’espace qu’on veut bien leur donner. Qu’il faut mettre à la disposition des gens en situation de détresse des espaces qui vont leur permettre de devenir des sujets actifs. À Morlaix, lorsque je suis arrivée, il y avait une bibliothèque, des ateliers de peinture, de musique… J’ai immédiatement proposé de créer un atelier théâtre. Une partie des résidents qui sont venus à l’ouverture de cet atelier il y a plus de vingt-cinq ans sont encore ici aujourd’hui, ce sont certains des comédiens avec lesquels je travaille. »
Jean-François Ducrocq : Était-ce la question thérapeutique ou le théâtre qui primait dans ta démarche lorsque tu as créé l’atelier ?
« Le soin n’était pas la question première. Il s’agissait d’expérimenter la question esthétique du théâtre. L’idée centrale étant que n’importe quelle personne a le droit d’avoir accès à un univers esthétique. La question du Beau peut devenir celle de tous, quels que soient les individus, leur histoire, leurs déficiences. L’idée était donc, avant tout, de faire du théâtre. De voir comment on allait faire du théâtre, à quoi ça allait nous servir, quelles questions ça allait nous poser. Au fond, le théâtre a toujours posé des questions existentielles à l’homme. C’est parce qu’on a réfléchi en premier lieu à la question de l’institution, à la question de la place des hommes dans cette organisation, que le théâtre est arrivé. Le théâtre, c’est principalement ça : l’agencement des hommes entre eux. C’était un très beau moment dans l’histoire éducative. Nous agitions, je crois, de la pensée, notre travail était philosophique. »
Le premier acte a été de poser un texte ?
« Non. Même si, au départ, il y avait forcément un récit, j’ai tout de suite abordé la question théâtrale sous l’angle du corps de l’acteur, de sa présence physique. Nous avons puisé dans les travaux des avant-gardes des années 1960 — Grotowski, Barba — pour utiliser au mieux le potentiel des acteurs : le travail sur la respiration, la voix, l’expression corporelle… Ce n’était pas du mime, plutôt un travail sur le flux, sur l’organisation et une recherche sur la nature du signe sans quête de sens, sans explication. Cette façon d’aborder la scène a d’emblée mis en place une sorte de mise à l’épreuve physique, d’ascèse, d’entraînement physique, vocal. Donc oui, le corps précédait le texte, même si le travail sur le texte représente une victoire majeure du fait des difficultés que les acteurs doivent surmonter pour s’approprier les mots, se faire entendre. »
Qu’est-ce qui dicte le choix des textes : le propos, la langue, les comédiens ?
« Ce sont toujours les acteurs de Catalyse qui dictent le choix des textes. Il faut trouver le texte qui leur correspond, ce qu’ils vont pouvoir dire. Je choisis un texte quand je pense que, lorsqu’il sera dit, porté par eux, on entendra quelque chose qu’on n’entendrait pas autrement. Parce qu’ils portent en eux une histoire, une question qui fait que la friction qui s’installe entre eux et le texte va révéler quelque chose d’autre. Ce n’est pas n’importe quoi qui fait levier chez moi. C’est la question de ce que le théâtre, à travers eux, peut renouveler comme question. Et, bien sûr, le langage est un élément puissant. C’est une chose que les comédiens avec lesquels je travaille perçoivent avec beaucoup d’acuité. L’obstination avec laquelle ils apprennent des textes parfois ardus en est la preuve. Et la poétique est essentielle, ça change tout. Je ne pourrais pas faire de théâtre muet. Même si on a toujours beaucoup travaillé sur le physique, le texte est central. »
Les textes que tu as choisi de porter sur scène ont souvent un rapport équivoque à la réalité… Tu as d’ailleurs dit que le projet Catalyse n’aurait pu se réaliser sans la révolution dadaïste ?
« Ce qui a toujours motivé ma relation au texte, c’est ce qu’il soulève sur l’appréhension de la réalité et de l’imaginaire. C’est toujours intéressant de questionner des choses qui disent la complexité du monde : ce qui compte ce n’est pas comment les choses sont, c’est la manière dont on les envisage, l’interprétation qu’on en fait. Les dadaïstes ont renversé la perception, laissé place à des possibles qui étaient jusqu’alors impensables. Lorsque Marcel Duchamp présente un urinoir intitulé Fontaine, il oblige à repenser la hiérarchie de l’art en mêlant la trivialité et la pensée conceptuelle. Il met en relief le contexte de l’exposition. Quelque chose qui, montré différemment, se transforme en une autre chose, pareille et pourtant différente. C’est grâce à cette même torsion du regard, je crois, qu’on peut voir et entendre les acteurs handicapés mentaux, sans être uniquement arrêté par la réalité, mais bien en laissant entrevoir d’autres possibles. »
Les Oiseaux d’Aristophane, c’est une fable, une comédie philosophique ?
« C’est Éric Vigner qui m’a soufflé l’idée de cette pièce. Après L’Empereur de Chine, notre précédente création, Éric m’a parlé de cette pièce d’Aristophane. L’intuition était lumineuse et a tout de suite fait mouche. Les Oiseaux, c’est une fantaisie philosophique sur les hommes et leurs limites ridicules, c’est aussi notre première pièce comique. Et ce rire est incroyablement épanouissant et libérateur. J’ai l’impression de voir des acteurs libérés, inventifs et tellement vivants que je regrette presque d’avoir tant attendu pour aborder la comédie. J’ai souvent pensé que le théâtre était un exercice d’émancipation et là, je le vois concrètement. Le chant et la danse nous permettent sans doute de nous affranchir de certaines inhibitions. Du coup, je découvre des acteurs avec un potentiel que je n’avais pas imaginé. Et puis, on retrouve dans cette pièce tout ce que j’aime : il y a la poétique inépuisable de l’oiseau et de son chant, de la légèreté, de sa fragilité et de son élévation; il y a la philosophie de l’invention de la démocratie et de l’accord que les hommes doivent trouver entre eux, avec le monde et avec les dieux; il y a la subversion, avec une part de provocation dans la lignée des dadaïstes, dans l’attaque faite aux fondements de la société: la religion, les sciences, les institutions; et, enfin, la fantaisie, avec un monde imaginaire qui permet de s’écarter de la réalité. »
Comment les comédiens de Catalyse vivent-ils l’expérience de la scène ?
« L’épreuve du public est pour eux un moment intense, essentiel. Parce qu’il faut bien dire que dans la vie de tous les jours, on les regarde plutôt de travers. Plus que des gens effacés en général, ce sont plutôt des gens qu’on efface. Il est rare qu’on les montre comme nous le faisons, qu’ils soient au centre de l’attention. Chez eux, on voit tout et... en même temps c’est de la fiction sans hésitation. La métamorphose des personnages, la constrution... C’est la magie totale du théâtre, cette possibilité-là. »
Le fait que les comédiens de Catalyse soient différents implique-t-il nécessairement que la représentation sera différente?
« Quand on va au théâtre, on n’est jamais sûr de voir du théâtre. D’ailleurs, bien souvent, on n’en voit pas. Avec les comédiens de Catalyse, on est sûr d’en voir. Les théoriciens de l’origine du théâtre, Florence Dupond ou Gordon Craig, pour ne citer qu’eux, expliquent très bien que le théâtre déplace la question humaine. On a devant soi des figures qui ne sont plus totalement dans les formes humaines, sociales. Dans la Grèce antique, les figures mythologiques étaient considérées comme des monstres et, par conséquent, elles étaient nécessairement interprétées par des esclaves ou, en tout cas, par des gens qui étaient socialement déconsidérés. Car ils étaient déjà monstrueux et donc conformes à la représentation. Aujourd’hui, Zeus et sa foudre ont tendance à faire rire lorsqu’ils sont joués par des acteurs. Ce sera le contraire avec les comédiens de Catalyse car, au fond, les acteurs handicapés ont un statut qui pourrait peut-être s’apparenter à celui des esclaves d’autrefois. Ils sont monstrueux par excellence. Et sur scène, on voit physiquement ça, ce hors-cadre. C’est là que le théâtre est né, à cet endroit-là. »
La compassion, le voyeurisme, ce sont des questions que tu évacues?
« Je ne nie pas que ça existe mais, au fond, peu importe. On peut aller voir un spectacle pour de mauvaises raisons et continuer pour de bonnes. Les raisons de la présence des spectateurs n’appartiennent qu’à eux. En revanche, je suis responsable de la mise en condition du rapport qui se crée entre la scène et le public. Le choix des signes est important car c’est à partir d’eux que se produira ce mécanisme de fiction et de transformation — parce qu’il y a une métamorphose au théâtre. Par conséquent, il faut mettre en place tout ce qui peut provoquer cette opération magique du regard, ce déplacement du regard. Claude Régy, par exemple, construit un dispositif qui contraint le spectateur à opérer lui-même sa transformation, c’est lui qui va chercher le « surgissement du fantôme ». Il ne le fera pas apparaître par un artifice quelconque, il conduira plutôt le spectateur à se mettre dans la position d’être transformé. Je ne travaille pas de la même façon, mais nous partageons tous deux le même souci autour de la manière dont nous allons transporter le spectateur, déplacer son regard, le transformer. »
L’enjeu de ce transport, de cette transformation, c’est notamment d’abolir la notion d’anormalité dans le cas des spectacles de Catalyse ?
« On n’abolit rien. On y pense et on oublie. Le spectateur fait des allers-retours, il choisit d’où il regarde. Un instant, il voit la fiction, l’instant d’après, il voit l’acteur. C’est à lui de faire son propre parcours. Le théâtre, ça a toujours été ça. C’est pour cette raison que, dans les spectacles de Catalyse, on choisit de donner à voir les échafaudages, le souffleur, sur l’espace de la scène. J’aime que toutes les strates soient visibles, la poétique du texte et du langage, la machinerie qui l’accompagne... Que l’on voie à la fois le livre et l’envers du livre, la scène et le backstage. Afin que la distance soit sans cesse réajustée, qu’il y ait toujours ce mouvement de balancier entre ce qui tient à distance et ce qui efface la distance, lorsque le spectateur se retrouve projeté, fondu dans la fiction. Mais on ne peut se fondre que parce que l’on a pu s’écarter. Les moments de fusion absolue n’existent pas, cela voudrait dire qu’on a perdu conscience. Or, par excellence, le théâtre c’est le choix de la focale, c’est le cerveau du spectateur qui réfléchit ce qu’il voit. C’est peut-être la raison pour laquelle le cinéma n’est pas mon domaine, car ce n’est pas le spectateur qui y choisit le cadrage, le timing, etc. Devant un film, on glisse dans le récit presque jusqu’à s’oublier. Au théâtre la scène vit, le public vit, et les interactions sont permanentes. »
Peux-tu expliquer comment le souffleur vient s’intercaler dans le dispositif, comment il cohabite avec les comédiens. Est-il toujours présent, au centre?
« Le souffleur est une invention unique du théâtre. Il dit à la fois la puissance et la fragilité du présent et, par ailleurs, il fait apparaître ce qui est construit, inventé. Il « défictionne » en quelque sorte et ramène le théâtre à son essence, qui est le jeu. Et puis, j’aime cette idée qu’il est comme une ombre du passé, qu’il convoque tous ces acteurs qui ont déjà dit ce texte, tous ces fantômes qui, avant, ont pensé à travers ces mots. En un instant, il dit à la fois la mécanique et la poétique du théâtre et, en fonction des nécessités dramaturgiques, il intervient différemment. »
Tu dis que chaque parole, chaque geste des comédiens de Catalyse sont « marqués du sceau de la non-évidence». Ça veut dire qu’ils ne sont pas conformes?
« Non, ca veut dire que ça ne coule pas de source... Les comédiens de Catalyse sont dans une fragilité permanente. Ils doutent, hésitent, butent sur un mot, une phrase, oublient leur texte, se demandent ce qui vient après, ils peuvent se tromper, se blesser, avoir une inspiration extraordinaire. Tout peut arriver. Le mécanisme public les fragilise. Et cela contribue à la théâtralité forte de leur présence. Et, comme lorsqu’on regarde un funambule sur son fil, on aura peur qu’ils tombent, on sera avec eux. »
Les comédiens de Catalyse ont collaboré avec des comédiens classiques. Aujourd'hui tu as abandonné l’idée?
« Le caractère singulier des acteurs de Catalyse fait que, par force, les autres comédiens sont effacés, ils n’existent pas dans cette confrontation-là. Le déséquilibre est trop fort. Cette mixité sur scène a mis en lumière cette question: que voit-on d’autre lorsqu’un acteur handicapé joue? »
Tu as la réponse à cette question?
« Parfois, je crois que les acteurs de Catalyse nous ramènent à la question des origines, de cet enfant tout neuf et sans défenses que nous étions à l’origine du monde. Et, parfois, je crois qu’ils sont des condensés de nos énigmes, de cette impossibilité à se connaître vraiment soi-même, d’être dans le chaos de l’obscurité. Et puis il y a ce désir intense, cette incommensurable joie de vivre ! »
Tu ressens une responsabilité vis-à-vis d’eux ?
« Les rapports entre un metteur en scène et un comédien ne sont jamais égalitaires mais là, c’est particulièrement vrai. Car, si tout comédien est vulnérable, les comédiens de Catalyse ne sont pas autonomes, contrairement aux autres. On peut leur faire beaucoup de mal, donc la responsabilité va plus loin. Il y a un philosophe que j’aime beaucoup, Emmanuel Levinas, qui dit qu’aimer l’autre, c’est le considérer dans son altérité, le regarder pour lui et non pour soi. Que dès la rencontre avec autrui, on doit endosser quelque chose de la conséquence de cette rencontre, tenir compte de la fragilité de l’autre, être responsable de lui. J’ai face à moi des gens qui sont vulnérables et qui ont une confiance totale en moi, je leur suis redevable de ça. Ils ont tellement confiance en moi que, même s’ils n’ont pas forcément conscience de ce qu’ils sont en train de montrer, ils s’en remettent à moi. Ils s’abandonnent, ils sont dans ma main. La moindre des choses est que j’endosse la responsabilité des choix qui sont les miens dès lors qu’ils les concernent. »
Dans Éloge de la faiblesse, le philosophe Alexandre Jollien explique que l’acte de création est une façon d’aller vers la connaissance de soi, de coïncider avec nous-mêmes, d’être traversés par la vie... Tu es d’accord avec ça?
« Bien sûr. C’est insensé d’être au cœur de quelque chose qui s’invente au fur et à mesure. Il n’y a rien au-dessus, ça donne un enthousiasme à la vie, une raison de vivre assez élevée. Chaque nouvelle création représente une nouvelle découverte. On peut même dire que chaque nouveau spectacle a tenté de répondre aux questions qu’avait soulevées le précédent. L’aventure se renouvelle à chaque fois, il faut toujours repartir sur une réflexion, une inspiration, retrouver du sens aux choses, c’est exaltant. Bien sûr, il y a une tentative de toucher des vérités, mais comme la vérité est fuyante et se dérobe tout le temps, il faut recommencer en permanence. Et puis il y a la joie de jouer avec ces comédiens-là. Les acteurs normaux ont une souplesse, une réactivité, une brillance qui les amènent à faire des propositions extraordinaires. Mais les comédiens de Catalyse ont quelque chose d’autre, ils ne répondent pas à l’endroit où tu les attends, leurs propositions sont totalement inattendues. »
Tu dis que vous vous êtes construits ensemble...
« Cette histoire a changé ma vie, radicalement. Sinon, je serais sans doute chef de service quelque part, dans un centre de soins. Je serais peut-être mariée, avec des enfants, tandis que je suis devenue metteur en scène. Le théâtre a pris le dessus. De cela aussi, je leur suis redevable. »
maDElEinE louarn en 6 dates
1957 Naissance à saint-Renan (Finistère)
1984 Création de l’atelier Catalyse
1994 Catalyse devient un Centre d’aide par le travail théâtre et ses comédiens deviennent professionnels.
2007 Création de aLiCe Ou Le MONDe Des MeRveiLLes de Lewis Caroll à saint-Étienne.
2009 Madeleine Louarn devient artiste associée du CDDB.
2012 Madeleine Louarn crée Les Oiseaux d’aristophane au Théâtre de Lorient avec les comédiens de Catalyse.
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