Frictions · Hors-Série N°2 · Jean Audureau · L'insolence de la jeunesse · Éric Vigner · LE JEUNE HOMME
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L'insolence de la jeunesse
Propos d'ÉRIC VIGNER recueillis par Jean-Pierre Han
Je venais d'arriver à Paris. Je me suis retrouvé Rue Blanche dans la classe dirigée par Brigitte Jaques, et c'est là que je découvris l'écriture de JEAN AUDUREAU. Grâce à Jean-Pierre Vincent qui venait de présenter Félicité à la Comédie Française. Ce fut un choc. Aujourd'hui encore je revois l'espace, j'entends les comédiennes, je vois le perroquet... ; tout me revient. Vraiment ça a été une grande découverte. C'est de cette façon que mon aventure avec l'écriture d'AUDUREAU a commencé.
Quelques années plus tard j'ai retrouvé Brigitte Jaques alors qu'elle dirigeait le Théâtre de la Commune d'Aubervillers avec François Regnault. Tous les deux ont décidé de présenter quatre pièces d'AUDUREAU et ont donc fait appel à deux jeunes metteurs en scène, Pascal Rambert et moi-même, et à deux metteurs en scène plus âgés, Jean-Louis Thamin et Pierre Vial. lls voulaient vraiment rendre hommage à cet auteur trop peu connu à leurs yeux. Entre-temps, bien sûr, j'avais enfin lu Félicité, mais aussi LE JEUNE HOMME et La Lève.
C'est une évidence, AUDUREAU c'est de la poésie pure..., et j'aime cette poésie. J'ai donc choisi de travailler sur LE JEUNE HOMME, une oeuvre passionnante dans laquelle on retrouve tous ses thèmes et tout particulièrement celui de la Mort. Par ailleurs je trouvais que la pièce était très érotique. Mais au-delà de cela comment décrire cet univers, quels mots employer pour parler de cet univers de rêve ?
Arthur Nauzyciel avait très envie de jouer le rôle du jeune homme. À partir de là nous avons réuni une bande — c'est vraiment le terme — de copains, avec Gilbert Marcantonini, Jacques Verzier, Catherine Vuillez..., d'autres encore. Avec certains nous avions vécu l'aventure de La Maison d'Os de Dubillard, d'autres venaient du Conservatoire, avec Gilbert Marcantonini nous venions de jouer Le Misanthrope ensemble... Nous avons travaillé pendant quinze jours, un temps record, mais c'était assez drôle, et j'insiste bien sur ce terme que j'assume entièrement.
Parce que je me refusais à suivre la pente convenue, celle d'un romantisme grisâtre et nébuleux au seul prétexte que l'écriture d'AUDUREAU est une écriture poétique. La proposition était très libre, mais il fallait la réaliser en seulement quinze jours de répétition. C'était comme faire une esquisse, jeter des choses comme cela sur le plateau, rapidement, sans y revenir. Tout cela dans une scénographie réduite au maximum. Dans la petite salle transformable d'Aubervilliers il y avait deux gradins de chaque côté de la scène, disposés en biais. Il n'y avait qu'une grande table de 8 mètres de long, quelques chaises, rien en somme. Pas de costumes non plus ; cela était censé se passer dans les années 70. Ce qui m'intéressait c'était de mettre l'accent sur la jeunesse de la pièce, sur sa verdeur, sur son côté érotique et pour tout dire sur sa veine sexuelle.
Cette veine sexuelle constitue la dimension jubilatoire de l'écriture d'AUDUREAU. Une écriture très personnelle qui a beaucoup à faire avec l'inconscient, En travaillant le texte avec les comédiens nous avons fini par rencontrer les fantasmes de l'auteur. Cela m'a beaucoup ému de toucher cette matière érotique, en prise avec une sorte d'animalité, et de retrouver quelque chose qui est de l'ordre de l'adolescence, ou plutôt de quelqu'un qui n'est pas devenu complètement un homme, je ne sais pas comment dire cela... Cette jeunesse confère à son écriture une clarté extraordinaire. Et dans le même temps — c'est un paradoxe, mais toute écriture est paradoxale sinon elle n'existe pas — il y a dans son écriture un aspect classique, suranné, alors même que chaque mot est pesé, qu'il y a une rigueur absolue.
Et puis AUDUREAU c'est aussi quelqu'un qui invente des villes et qui voyage à l'intérieur de ces villes, à l'intérieur des bibliothèques, à l'intérieur de son propre corps. Il est pétri de la littérature de toute une époque. C'est quelqu'un qui a profondément aimé la grande littérature, les grandes épopées... Il a lu des livres, les a intégrés, a commencé à voyager, avec toutes les histoires qu'il a lues, les histoires se sont mélangées, elles sont tombées dans sa propre vie à lui, et en même temps c'est quelqu'un qui vit aussi dans sa chambre. Il lit des livres et il vit dans les livres. C'est quelqu'un qui a rêvé sa vie, qui s'est rêvé. Regardez comme il commence très simplement à parler de sa ville natale, Cholet, puis comment cela bascule et deux minutes plus tard le voilà parti en Russie, à Saint-Petersbourg ! C'est le fonctionnement même de l'inconscient ou de la poésie, le lien passe à travers le corps. Ce qui est sûr c'est que son écriture n'est pas une écriture raisonnable même si elle s'en donne les apparences. Sous sa rectitude il y a un volcan.
Ce qui est sûr c'est que le thème de la mort est récurrent chez lui. Dans LE JEUNE HOMME il est question de la mort d'Emmanuel Kant, de ses derniers jours comme illuminés par l'arrivée d'un jeune homme (sans doute y a-t-il dans cette relation un rapport homosexuel). Tout cela dans une Allemagne sublimée. Il y a là-dedans des relents de Visconti... Et pourtant, en montant la pièce, nous avons beaucoup ri tout simplement parce que nous étions contents. Nous avons insisté sur la légèreté de la jeunesse. Il y avait donc une forme de turbulence, d'insolence. Nous étions dans la relation directe aux choses. Cela a été perçu comme de la provocation, mais je crois que nous étions dans la justesse de l'écriture d'AUDUREAU. Sous cette langue travaillée, d'apparence baroque, stylisée, il y a réellement quelque chose d'autre. J'ai, par la suite, souvent songé à Félicité que j'ai relu à maintes reprises. Peut-être faudra-t-il que je trouve le moment adéquat pour que je m'y attaque, dans trois ou quatre ans...
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