Inferno · 8 janvier 2014 · ORLANDO

Inferno · 8 janvier 2014 · ORLANDO
Une ode à l’ambiguïté contemporaine et lyrique, réaliste et fictive.
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Critiques
Quentin Margne
08 Jan 2014
Inferno
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Inferno

8 janvier 2014 · QUENTIN MARGNE


ORLANDO, l'opéra crépusculaire d'ÉRIC VIGNER

L’union de trois théâtres de Bretagne – le Quartz de Brest, le Théâtre de Lorient et l’Opéra de Rennes – a fait jour à une survivance händélienne. Sur le plateau majestueux du théâtre de Lorient, l’Orlando, mis en scène par Éric Vigner, enchante un zombie déterré d’outre-tombe, aux parfums des grands airs épiques. Sa présence, l’atmosphère qu’il dégage dans cette reconstitution de forêt enchantée bretonne, résonne comme une ode à l’ambiguïté contemporaine et lyrique, réaliste et fictive.

Point de poussière sur cet opéra baroque, Orlando se tient droit dans le temps. L’illusion fonctionne, elle devient la seule loi que l’on ne peut pas violer. Ses pas légers, un tantinet boiteux font entrapercevoir la fragilité de ce courage supérieur en proie aux déflagrations intemporelles de l’amour. D’un magicien, il apprend que la femme qu’il aime est tombée amoureuse d’un autre. Perdu, il s’échappe dans un temps cinétique. La scénographie matérialise cet espace intemporel. Elle dessine une nuit sans fin, sorte de labyrinthe scénique sans entrée ni sortie apparentes. Un grand rideau de perle scinde la scène en deux.

Dans ces petits interstices de lumière, une piste surgit. Dessus glisseront les pirouettes de l’amour badin d’Orlando, d’Angélique, de Medoro et de Dorinda pendant près de trois actes. Ces quatre personnages s’égarent parmi l’infini coloris des sentiments humains. Leurs costumes évoquent des figures givrés au fil du temps, officier colonial et princesse de conte de fée. L’esthétique se veut épurée. Les costumes, qui rappellent les couleurs de l’automne, sont en décalage avec cet iphone frontispicié qui habille les surtitres. Ce contraste fait émerger, avec une acuité imparable, une question de prime abord désuète : le chevalier peut-il tarir sa soif d’absolu ou doit-il la taire ?

Désir de l’illusion ou illusion du désir ?

A l’instar d’Orlando qui préfère sillonner l’amour et ses salves d’illusions, plutôt que de s’incliner face à un destin auréolé de gloire, on reste suspendus au souffle réaliste de la contemporanéité. C’est précisément au cours de cette butée immobilisatrice qu’Éric Vigner atteint son public. Au cours de sa quête chimérique, Orlando se bagarre sans relâche ; et ce, sans qu’une quelconque pitié n’émane de son âme. A l’exact opposé, il abasourdit les attentes, lors de ses multiples combats contre et avec l’action. Sur scène, deux charrons articulent l’action : tout droit sortis d’une sitcom, ils donnent une allure stable à l’architecture générale de l’opéra. A l’intérieur de celle-ci, éclosent les chaos sentimentaux des figures en proie à leur libre destin amoureux : les protagonistes, presque statufiés par leur costume et par la multiplicité de symboles qui les enroule, prennent vie et démesure au travers d’une gestuelle théâtrale outrancière. Celle-ci rend jubilatoire les égarements amoureux et les éblouissements du cœur.

Si la route semble oh combien encombrée pour ces figures archétypales, les voix retentissent dans la nuit de leur inertie et luisent telles les plus sûrs guides de leur désir. Ces voix de contre-ténors, de sopranos, sont autant de fils lumineux qui se croisent et se nouent magistralement sur les affres des passions humaines. De mille aperceptions fragiles, elles tissent là un vêtement éblouissant. Les voix deviennent célestes, les chairs s’incarnent et s’animent au travers de l’ensemble Matheus, orchestre virtuose tenu à la baguette par Jean-Christophe Spinosi. La partition s’immisce pas à pas, investit l’ouïe afin d’éblouir à chaque respiration du silence, l’air du génie créateur d’Haendel. Le souffle court, embarqué au large du baroque, un monde où l’illusion configure notre représentation du monde s’érige et distille simplement, en un geste aérien, de sentiments de plaisirs et de peines pour les protagonistes en jeu.

Au sortir, l’air d’épuisement mélancolique et découragé s’est dissipé, disparait avec Orlando. On s’est détaché, au travers de cette expérience mystique, nue, libre d’attaches, pour emprunter une sorte de voyage au bout des possibles du sentiment humain.