Variation lyrique autour de la figure de Roland portée par l’inépuisable invention musicale de HAENDEL, ORLANDO signe les retrouvailles entre le chef d’orchestre JEAN-CHRISTOPHE SPINOSI et le metteur en scène ÉRIC VIGNER autour d’un des opéras les plus éclatants de l’ère baroque.
UN CHANT D’AMOUR
C’est donc par un opéra que s’ouvre cette nouvelle saison au Théâtre de Lorient. Et, s’il s’agit d’une grande première depuis la création du CDDB en 1996, la satisfaction est ailleurs. Car pour la création de l’ORLANDO d’HAENDEL, qui initie donc la saison le 3 octobre au Grand Théâtre, ce sont trois grandes villes de Bretagne et leurs institutions qui se sont mises au diapason : le Quartz de Brest, le Théâtre de Lorient - Centre Dramatique National, et l’Opéra de Rennes, avec le soutien du Conseil régional de Bretagne et de la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Bretagne : "Les répétitions se sont déroulées à Rennes, la création a lieu à Lorient puis l’opéra sera joué à Brest, à Rennes... avant d’aller vivre sa vie ailleurs, à l’Opéra de Versailles et au Capitole de Toulouse. C’est exaltant d’être réunis autour d’un projet de cette ampleur et de constater que l’on peut fédérer autant d’énergies, de désir de création et d’exigence sur notre territoire", explique ÉRIC VIGNER.
La création d’ORLANDO scelle également les retrouvailles artistiques entre le chef d’orchestre JEAN-CHRISTOPHE SPINOSI, breton d’adoption ancré, avec l’Ensemble Matheus, au Quartz de Brest, et le metteur en scène ÉRIC VIGNER. Les deux hommes avaient déjà travaillé ensemble pour la création de L’Illusion comique de Pierre Corneille, à l’occasion de l’ouverture du CDDB en 1996, puis pour Marion de Lorme de Victor Hugo adapté par ÉRIC VIGNER en 1998. "Depuis que JEAN-CHRISTOPHE SPINOSI est devenu artiste associé au Théâtre de Lorient il y a deux ans, nous voulions travailler ensemble sur un opéra baroque. Or, Jean-Christophe désirait ardemment poursuivre son travail autour de l’ORLANDO qui est une figure qui l’accompagne puisqu’il a déjà dirigé l’ORLANDO Furioso de Vivaldi ainsi que l’ORLANDO Paladino de Haydn. Il n’a pas mis longtemps à me convaincre de l’accompagner et Boris Charmatz, autre artiste associé au Théâtre de Lorient, viendra lui aussi apporter son regard chorégraphique à ce travail commun. Qu’on se croise à ce moment de notre parcours, autour de cet opéra et du mage-magicien Zoroastre, n’est sans doute pas un hasard. Il y a des résonances, des correspondances..."
Chez HAENDEL, Zoroastre n’est ni un moraliste, ni un philosophe, mais un magicien aux pouvoirs étendus, un metteur en scène qui sonde les âmes et, grâce à ses sortilèges, pèse de tout son poids sur l’intrigue. Comme dans L’Illusion comique de Corneille écrite un siècle plus tôt, c’est par la démonstration du théâtre, et par l’entremise de Zoroastre, qu’Orlando va être soumis à l’expérience amoureuse et obtenir les réponses aux questions qu’il se pose. Le paladin apprendra ainsi que celui qui pousse l’expérience amoureuse dans ses limites s’expose à la folie et à la mort. Car si l’opera seria d’HAENDEL s’inspire de l’ORLANDO furioso de L’Arioste plus de deux siècles plus tard, pour mettre en scène une impossible combinatoire amoureuse où les personnages semblent parfois égarés dans une comédie de mœurs, le livret condense la vaste épopée italienne (plus de 40 000 vers !) autour de cinq personnages pour choisir de ne traiter que de la péripétie majeure du poème: la passion amoureuse insensée du héros qui le conduit à la folie furieuse avant de triompher de lui-même et de l’amour grâce à l’intervention du mage. "Si dans le livret, l’épopée de L’Arioste semble lointaine, ses personnages nous apparaissent surtout comme le souvenir d’un mythe ancien: les héros y sont fatigués", observe ÉRIC VIGNER. En dépit de l’inanité des sentiments qui animent les personnages, souvent complétement dépassés par leurs élans amoureux, l’irruption du merveilleux et la puissance dramatique de l’écriture de HAENDEL, l’inépuisable invention de sa partition, débordent généreusement le cadre pour aborder le champ obscur des passions, la désolation, la folie, le tragique.
"ORLANDO est un opéra magique mais c’est aussi un opéra crépusculaire, un opéra de la désillusion, rappelle le metteur en scène. Il s’expose par une série de tableaux qui décrivent les différentes étapes d’un parcours initiatique : la naissance de l’amour, les origines du désir, la passion, le dépit amoureux, la jalousie furieuse, le désespoir jusqu’à la tentative de se donner la mort... Il y a là tout le paysage des sentiments amoureux. On entend dans le chant les déchirements de la passion, l’impossibilité amoureuse, les personnages se cherchent, se fuient, se perdent et se retrouvent... C’est ce qui fait l’éternité d’ORLANDO, toute sa modernité aussi, même si nous avons choisi de ne pas déconnecter cet opéra de son univers baroque et de créer des déflagrations, des sensations fortes dans ce cadre-là. L’opéra est un art total où se crée une alchimie entre la musique, le chant, les décors, les costumes... Au discours amoureux des protagonistes répondra l’esthétique de la mise en scène et l’espace du plateau deviendra ce lieu irréel et incertain où nos amants pourront se dévoiler ou se perdre."
Dans une saison où la thématique centrale est le rappel des grandes figures mythologiques et du roman, l’opéra d’HAENDEL occupe une place de choix. Tandis que Frédéric Boyer, également présent au programme cette saison, réactive la légende de Roland dans Rappeler Roland, JEAN-CHRISTOPHE SPINOSI et ÉRIC VIGNER convoquent HAENDEL — qui s’inspire lui-même de L’Arioste — pour redonner vie à un autre Roland/ Orlando. Et c’est au tour de cet autre fantôme du neveu de Charlemagne de venir visiter les plateaux du Théâtre de Lorient.