Le Progrès · 10 février 1995 · LA PLUIE D'ÉTÉ

Le Progrès · 10 février 1995 · LA PLUIE D'ÉTÉ
Une pièce qu'il faut absolument voir cette saison.
Presse régionale
Critique
10 Fév 1995
Le Progrès
Langue: Français
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Le Progrès

10 février 1995

S'il y a une pièce qu'il faut absolument voir cette saison, c'est bien La Pluie d'été, mise en scène par le jeune talentueux Éric Vigner. A l'affiche du théâtre depuis le 8 février, c'est ce soir l'ultime représentation.

C'est l'histoire d'une famille d'immigrés logés à Vitry. Pourquoi Vitry ? Parce que l'inspiration de ce qui est livre (et non pièce de théâtre) est venue à Marguerite Duras quand, en 1981, s'effectuait dans cette banlieue sans charme particulier le tournage de son film Les Enfants. Il y a le père (Philippe Metro), qui est Italien, et la mère (Hélène Babu), venue du froid quelque part au-delà du Caucase ; le flou de ses origines est cause d'angoisse pour l'époux qui la sent toujours comme prête au départ. En attendant, ils ont mis au monde environ sept enfants dont nous ne voyons qu'Ernesto (Jean-Baptiste Sastre) et Jeanne (Anne Coesens) ; on parle des autres, "les brothers et sisters".

La mère ne travaille plus depuis le premier enfant, et le père depuis le troisième. Si des problèmes surgissent pour ce couple bien installé dans le chômage, c'est que les enfants ne vont pas à l'école. Ils ne le veulent pas comme le dit Ernesto, parce que "à l'école on m'apprend des choses que je ne sais pas". Un sort est fait tout au long de la pièce à cette raison insolite de se dérober à l'enseignement obligatoire comme le rappelle l'instituteur (Thierry Collet). En fait, Ernesto est un génie ; il sait tout, prodigieusement tout, jusqu'à intéresser les médias ; d'où la journaliste (Marilu Bisciglia) quêtant l'interview.

Cela commence comme une lecture à plusieurs voix avec journaliste et instituteur dans la salle ; peu à peu on entre dans la théâtralisation et récit et dialogues interfèrent. Les membres de la famille parlent volontiers d'eux-mêmes en se voyant de l'extérieur, ne disant plus "je" mais "il". S'entrechoquent une écriture dont le ressassement a un côté très positif, et une autre qui l'est moins. Ce que l'on apprécie le mieux c'est la cocasserie et les coups de pattes drôlatiques de dialogues égratignant l'Education nationale et l'intrusion journalistique. Le coup d'éclat d'Éric Vigner, metteur en scène et des siens a consisté en ceci qu'ils sont parvenus à transposer en scène l'admirable naïveté de la partition, respectée à la lettre, parfois livre en main. Éric Vigner signe là une mise en scène pleine d'inventions scénographiques et qui le fait accéder à la cour des grands.