Ouest France
4 février 1999
Marion de Lorme de notre temps
Régulièrement accueilli au théâtre de Caen, ÉRIC VIGNER ne cesse de renouveler l'intérêt que le spectateur lui porte. Après, Reviens à toi (encore) de Motton, puis L'illusion comique, le directeur du CDB de Lorient et metteur en scène signe un Marion de Lorme transgressif et parfaitement de son temps, le nôtre.
Si l'on devait regarder les textes d'antan avec les yeux d'hier, que serait le théâtre et qu'en serait-il de la littérature théâtrale ? Si l'on devait penser le drame romantique sous le signe idéologique du XIX° siècle que vaudrait-il pour nous, gens d'aujourd'hui à qui l'on dit que le XXIe siècle est pour demain ? La singularité de l'art, c'est sans doute de demeurer présent.
Ainsi les oeuvres passent-elles les frontières du temps et se présentent-elles toujours afin que nos regards les pénètrent autrement. Pièce censurée, interdite par Charles X... Marion de Lorme pointe le conflit entre l'individu et la société, la destruction ou la corruption par l'ordre politique de la noblesse des coeurs. Une histoire simplette d'amour et un duel condamné servent à HUGO de révélateur. Marion, Didier, Saverny n'en sont que les patronymes malheureux.
Bien au-delà d'un divertissement, ÉRIC VIGNER interroge l'art, sa fonction au moment où ici et là, on est prêt à réduire le théâtre à être un énième vaccin social.
Et les comédiens qu'il fait venir en front de scène commencent d'ailleurs par narrer l'histoire du théâtre et de cette pièce au public. Celui dont dépend finalement l'histoire du théâtre, comme disait Vilar dans son manifeste de Suresne. Certes, VIGNER, n'est pas Vilar, et ce théâtre expérimental est peut-être loin du théâtre populaire. Et pourtant l'un comme l'autre sont de la même famille.
Sur la scène où flotte une aile en forme de charpente marine tenue sur un mât, des comédiens rompus au geste ascétique, habillés d'une jute grise qui leur donne l'air d'un soldat de Büchner, exécutent les vers hugoliens. Comprenons bien qu'ils les hachent et simultanément les développent sous un mode nouveau.
Sur un mode parfois grotesque d'abord, mais qui se dissipe pour faire place à un exercice de style, VIGNER chorégraphie l'alexandrin en lui prêtant le geste des bras et des mains. L'emphase est ainsi annulée et chaque envolée se trouve soumise à un rituel d'atelier, où l'ajustement du corps contraint la langue et son mètre.
Dans une magnifique scénographie, pris dans le halo lumineux d'une couleur empruntée à Vermeer, ÉRIC VIGNER signe une création qui parle de théâtre, et qui, tout en en parlant, le montre à l'exercice.
Avec humour, quelques ponctuations sonores (un avion, une voiture...) rappellent que le romantisme était une rupture. Pour VIGNER, sans doute fallait-il rompre avec l'attendu d'un drame romantique, , pour lui redonner sa fonction initiale, provoquer, mais surtout faire art.