Le Télégramme
17 octobre 1998 · ELISABETH JARD
MARION DE LORME, l'avenir des illusions
Amour et mort : MARION DE LORME renaît ce soir sur la scène du Quartz, sous l'égide d'ÉRIC VIGNER. Manifeste romantique, somme théâtrale restée dans l'ombre, la pièce de VICTOR HUGO reprend ses droits artistiques, dans l'esprit même qui lui donna le jour. Sous la fable amoureuse et cruelle, la troupe contemporaine épouse la démarche du poète, et marche, un siècle plus tard, dans le sillage d'un théâtre à créer.
"J'ai découvert en cette oeuvre d'HUGO, le manifeste total de l'écrivain romantique, son ILLUSION COMIQUE à lui. Elle est simplement venue trop tard, après le scandale d'HERNANI..."
Fable-prétexte
Et si certains s'étonnent de voir ÉRIC VIGNER, plus proche jusque-là du théâtre contemporain, s'engager dans l'aventure hugolienne, le metteur en scène, lui, poursuit simplement son propre parcours artistique "plus que tout HUGO a mis là les bases mêmes de l'art théâtral tel qu'il le concevait et voulait le voir vivre. La fable y est le prétexte d'une interrogation sur l'avenir du théâtre"... D'une courtisane adulée des grands de ce monde, enfuie pour l'amour d'un "Didier de rien"... le drame devient politique, mais aussi poétique et avant tout littéraire. Et c'est en cela sans doute que MARION DE LORME trouve sa place aujourd'hui, pour une nouvelle interrogation, un nouvel essai, une nouvelle posture artistique.
Méconnue du grand public et pourtant écrite par HUGO avant même HERNANI, la pièce reçoit en 1829 les faveurs des artistes... en lecture privée. Mais, il faudra attendre la révolution de juillet 1830, et la fin de la censure, pour permettre à MARION d'entrer en scène, un an plus tard.
"Censurée en 1829, par . son caractère trop politique, elle est réclamée pour cela en 1830. Et HUGO refuse de la monter, parce qu'elle est ce tout, qui dépasse enfin les théories des romantiques pour les incarner".
Tout est possible
Le duel, cornélien par excellence, s'y allie à l'univers shakespearien, sur fond d'alexandrins. Partie pour Didier, Marion se retrouve au milieu d'un drame qui oppose son ancien amant, noble, au jeune gueux. Le duel qui s'ensuivra, s'il ne laisse pas couler le sang, conduit les deux hommes à la condamnation à mort, par la justice...
"Il faut que ..tout meurt pour que tout vive" : la doctrine des romantiques est insoluble et la pièce va jusqu'au bout du paradoxe. Tout au moins dans l'adaptation d'ÉRIC VIGNER, qui a choisi de mettre en scène, pour la première fois, la version de 1829, celle qu'HUGO lui-même ne put monter. "En 1831, l'actrice principale obtient le pardon de Didier, ce qui bien sûr ne figurait pas dans la version originale. Ici, le pardon est refusé, dans la logique même de l'esprit romantique."
Qu'attendre alors ? La rencontre entre deux mondes, le jeu d'un "trio infernal, proche aussi de JULES ET JIM, et surtout la tentative d'invention du théâtre de demain". Cinq actes textuels, visuels, corporels aussi.., où les notes de l'ensemble Matheus ramènent à l'esprit des romantiques. Dix acteurs investis d'une mission, celle de donner vie à un poème dramatique sans âge, joué par la jeunesse, pour donner corps peut-être à la conviction du poète : "Tout est possible"...