La Provence
21 décembre 1998 · Danièle CARRAZ
L'appel de Hugo à la vigilance, sur la Scène de Cavaillon
Créé en 1829, Marion de Lorme, manifeste d'un théâtre libertaire, est interdit par la censure : cette histoire d'amours empêchées et dé duel puni de mort par Louis XIII et Richelieu semble à Charles X un message personnel.
La pièce sera créée en 1831. Entre-temps, il y a eu juillet 1830, "date littéraire autant que politique, l'art est libre" clame Hugo, et ce brûlot lancé contre le pouvoir d'état et le carcan du vers classique est entendu par un public enthousiaste.
Le metteur en scène Éric Vigner qui, d'une création à l'autre, jamais ne remet les pieds dans les mêmes traces, "chante" Marion de Lorme comme un hymne à la liberté du théâtre.
Aux vers superbement éclatés de Hugo, ses comédiens donnent une musique étrange, déraillante, inconnue. Tout leur corps accompagne et, quasiment, danse cette langue dans une gestuelle exacerbée et baroque (référence peut-être au XVIIe siècle de l'histoire racontée). Cette liberté de jeu et de diction ressemble parfois trop à un exercice de style dont le drame romantique de Hugo "pris avec des pincettes" ferait les frais. Mais souvent c'est plutôt convainquant.
On retiendra l'énergie sauvage et juvénile que libère la langue épique et étonnamment ironique de Hugo. On se réjouit de la hardiesse d'un jeu qui réalise littéralement "sur pied" les images du poète. On aime la scénographie à l'image de cette légèreté et sauvagerie : ces ailes qui peuvent se faire couperets, comme il arrive à la liberté d'être décapitée. éric Vigner semble vouloir dire au public qu'il faut être vigilant à ce qui se passe, et que les théâtres sont justement des lieux de vigilance.
Ce n'est donc pas un hasard si c'est la Scène nationale de Cavaillon qui nous proposait ce travail exigeant.