La Tribune · 12 décembre 1998 · MARION DE LORME

La Tribune · 12 décembre 1998 · MARION DE LORME
MARION DE LORME a fait salle comble
Presse nationale
Critique
V.D.
12 Déc 1998
La Tribune
Langue: Français
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La Tribune

12 décembre 1998 · V.D.

Marion, romantique d'aujourd'hui

Marion De Lorme a fait salle comble ces deux derniers jours au théâtre municipal: la mise en scène épurée d'Éric Vigner, la virtuosité des comédiens à restituer toute la force du texte d'Hugo.

L'événement était fort attendu, il semblait logique que Marion de Lorme, la superbe courtisane de Richelieu, attire une telle foule de soupirants. Le théâtre municipal affichait donc pratiquement complet pour les deux représentations de cette pièce relativement peu connue de Victor Hugo. De nombreux lycéens et collégiens avaient fait le déplacement afin de redécouvrir ce grand texte dans le contexte pour lequel il a été avant tout créé: la scène.

Éric Vigner, le metteur en scène de cette nouvelle version, a choisi d'ouvrir le spectacle avec la préface-manifeste écrite en 1831 par Hugo pour la première de Marion De Lorme. En effet, la pièce a été composée en à peine plus de trois semaines en juin 1829, et l'auteur a préféré la retirer plutôt que d'accepter les coupes exigées par Charles X. Lorsqu'elle sera jouée deux ans plus tard, deux révolutions lui seront passées devant: celle d'Hernani (écrite en août-septembre 1829) et celle des Trois Glorieuses. L'heure est alors à la tolérance et à la liberté, liberté que Hugo définit très simplement par le souhait suivant: "Qu'une affaire littéraire soit prise littérairement".

Et c'est bien là le propos d'Éric Vigner qui, loin de tout romantisme larmoyant, a signé une mise en scène "théâtrale" au sens propre du terme. Il s'agissait de donner au texte tout l'espace nécessaire à son complet épanouissement. Les alexandrins déferlent, en flots continus, si riches qu'il est parfois difficile de se concentrer sur le fond tant on se laisse emporter par la musicalité des mots. Le verbe est dit plus qu'il n'est déclamé par une dizaine de comédiens tous plus brillants les uns que les autres dans cet exercice de style si particulier.

Le ton n'est jamais monocorde et valorise de façon surprenante leurs performances. Le tour de force est d'autant plus impressionnant que l'histoire d'amour et de mort entre Marion la courtisane et Didier le naïf, se trouve également mise en relief par cette diction mélodieuse. Celle de Marion, interprétée par la comédienne autrichienne Jutta Johanna Weiss, oscille sans cesse des graves aux aigus, elle chante son amour plus qu'elle ne parle.

Les gestes sont lents, précis, pas de combat de capes et d'épées mais des mots, toujours, qui touchent et qui tuent aussi sûrement qu'une lame. Les comédiens s'interdisent le moindre effet, ils posent la convention et se mettent à distance de leurs personnages pour mieux mettre en exergue la force brute du texte.

Le décor impressionnant est lui aussi décalé par rapport à l'époque: mélange des matières d'hier et d'aujourd'hui, une gigantesque structure d'acier et de bois plane au dessus des comédiens telles les ailes de la liberté retrouvée...

Liberté théâtrale avant tout, Éric Vigner l'a démontré de la façon la plus éclatante qui soit.