OUEST FRANCE
Mercredi 10 octobre 2008 · Jérôme GAZEAU
Samir Guesmi dans la peau d'Othello
L'acteur est au cœur du drame de William Shakespeare mis en scène par Éric Vigner qui ouvrira la saison du Grand Théâtre le 6 octobre
Othello, ça représente quoi pour vous ?
Dire que c'est une pièce splendide est une banalité d'usage. Je me rends compte que je ne peux pas en dire grand-chose aujourd'hui, je suis tellement immergé dedans. J'aimerai avoir plus de recul : cette pièce pose des questions toutes les deux lignes ! Quoi dire ? Oue c'est une intrigue qui va largement au-delà de la jalousie ?
Une intrigue au texte dense ?
Oui, bien sûr, il y a la mort, la vengeance, la trahison, le jusqu'au-boutisme, la guerre, la potitique. C'est sanglant, impitoyable. Chacun se trouve pris dans un processus qui lui échappe. Nous atteignons ici une dimension quasi mythologique, à l'image de l'Illiade ou l'Odyssée. Dans OTHELLO, Shakespeare ne cesse d'annoncer le meurtre. L'engrenage est imperturbable. Et la fin inéluctable, même si ceux qui la souhaitent s'y rendent heureux quand d'autres, malheureux, la déplorent. Tout ici dépasse nos petites volontés. Comme dans la vie, en fait : on peut choisir de s'habiller en bleu ou en violet, sauf qu'il y a plein événements sur lesquels nous ne décidons rien. C'est tellement exact que les choses les plus chouettes ou les plus tragiques qui sont survenues dans ma vie, je ne les ai pas vu venir.
Voilà vingt ans que vous tournez pour le cinéma, avec des rôles dans une quarantaine de films, les plus récents étant Un comte de Noël, leur Morale... et la notre, ou encore Ca$h.
Je suis venu au cinéma par les castings mais j'al commencé par des cours de théàtre et j'ai joué dans une quinzaine de pièces depuis l'âge de mes vingt ans. Mais quand on débute, on traine ses guêtres un peu partout avec l'envie de jouer, de tourner, de se montrer, d'exister. Jeune acteur, je me suis retrouvé ainsi confronté à de jeunes réalisateurs, avec tous des Carambars dans la bouche, à vouloir refaire le monde. Et puis, il faut travailler : il n'y a pas beaucoup d'acteurs qui peuvent choisir leur projet. Nous sommes un peu des joueurs de foot, quand on est sélectionné, on est content de jouer.
Éric Vigner vous a choisi pour jouer le rôle d'Othello. Le rôle de "l'étranger" à Venise. Vous êtes vous-même do souche algérienne.
Ah... Qu'est ce que ça veut dire étranger ? Je crois qu'on est toujours l'étranger de quelqu'un, même entre frangins et frangines. J'aime bien d'ailleurs l'idée que personne n'est pareil, même au sein de sa famille : l'un est végétarien, l'autre adore la viande, la troisième porte des pantalons quand la quatrième ne rêve que de jupes... En ce qui me concerne, je suis de la deuxième génération, je suis né et j'ai grandi a Belleville. Mes parents ont émigré en France dans les années 50, ça commence à dater, ils ont même dû arriver en France avant... Nicolas Sarkozy ? (1) .
Quelle différence faites-vous entre l'acteur de cinéma et le comédien de théâtre ?
La seule différence, c'est qu'au théâtre, il faut se faire entendre. Au cinéma, le volume sonore demandé est très bas, on peut aller jusqu'à chuchoter. Alors que sur scène, il faut savoir susurrer une déclaration d'amour à trois centimètres de l'oreille d'une partenaire en faisant en sorta que les spectateurs assis au fond de la salle l'entendent. Et y croient. Ca n'est pas simple !
Dans Othello, Michel Fau est lago, votre terrible adversaire.
J'ai joué avec lui une fois à Paris, il y a quinze ans, dans Roméo et Juliette, déjà un Shakespeare. Je suis super heureux de travailler à nouveau avec lui. Je l'observe pendant les répétitions : c'est un très grand acteur. C'est comme si l'allais jouer au tennis avec Pete Sempras. Pour avoir de belles balles d'échange, il faut soigner le jeu !
(1) En fait. Nicolas Sarkozy est né en 1955 è Paris. Son père, Hongrois, est arrivé dans l'Hexagone en 1948 après avoir fait ses classes en Algérie française (NDLR).