Entretiens réalisés par HUGUES LE TANNEUR, pour le théâtre du Rond-Point, Paris.
Entretien avec RÉMI DE VOS
Dans SEXTETT, votre héros est de nouveau confronté à la mort, mais de façon très différente...
RÉMI DE VOS : Contrairement à la précédente, il n’y a pas de comique de situation dans cette pièce. Il n’y a pas d’urne funéraire à cacher. Simon revient de l’enterrement de sa mère avec une collègue de bureau de son agence de pub. Dès le début de la pièce, la femme remarque un chien qui fait des trous dans le jardin. Simon est dans un état légèrement apathique. Arrivent deux voisines qui s’excusent du comportement de leur chien. Et en guise de dédommagement pour le saccage du jardin, elles proposent de chanter un lied de SCHUBERT. Au bout du compte, on se retrouve avec un homme confronté à cinq femmes. Dans le désarroi où il est de la mort de sa mère, ça le perturbe un peu d’être tout d’un coup l’objet de désirs féminins.
Comment avez-vous choisi d'écrire et pourquoi spécialement du théâtre?
R. D. V. : L’écriture est la chose la plus surprenante qui me soit arrivée. Je viens d’une famille où on ne lit pas. À 16 ans avec le lycée, j’ai fait une sortie au théâtre, j’ai vu EN ATTENDANT GODOT dans la mise en scène d’OTOMAR KREJCA aux Bouffes du Nord. Plus tard j’ai pris des cours de théâtre, mais je n’ai pas réussi à en faire mon métier. Je travaillais dans une entreprise. Un jour un ami acteur me propose de jouer dans une pièce. J’ai refusé, mais je me suis mis à écrire régulièrement sur ce que je vivais dans le monde du travail. Peu à peu, c’est devenu une pièce de théâtre. C’est comme ça qu’est né DÉBRAYAGE. La pièce a obtenu des prix. Je me suis aperçu que j’aimais bien écrire des dialogues. Après j’ai participé à l’écriture collective d’ANDRÉ LE MAGNIFIQUE. Depuis j’écris régulièrement. Beaucoup de mes pièces sont des commandes. J’ai besoin d’écrire dans l’urgence. J’écris à partir de situations, de personnages. J’ai énormément lu BECKETT à une époque, mais aussi BUKOWSKI, THOMAS BERNHARD, JOHN FANTE. Je ne suis pas un lyrique. Je n’ai pas une écriture poétique. J’ai une écriture sèche qui se construit à partir des dialogues.
Entretien avec ÉRIC VIGNER
De quoi parle SEXTETT ?
ÉRIC VIGNER : SEXTETT parle du désir, du sexe, des femmes, de la mort et du théâtre. C’est la suite de JUSQU’À CE QUE LA MORT NOUS SÉPARE. Dans cette pièce, le héros retournait chez sa mère à l’occasion de l’incinération de sa grand-mère. Dans SEXTETT, on le retrouve après la mort de sa mère. On avait envie avec RÉMI DE VOS «d’écrire» une suite pour MICHA LESCOT et de confronter Simon à tous ces thèmes. Au début de LA SOLITUDE DANS LES CHAMPS DE COTON de BERNARD-MARIE KOLTÈS, le Dealer dit au Client : «Si vous marchez dehors, à cette heure et en ce lieu, c’est que vous désirez quelque chose que vous n’avez pas, et cette chose, moi, je peux vous la fournir...» Simon dans SEXTETT, comme le client dans La SOLITUDE, est sollicité sur son désir. SEXTETT parle du désir comme carburant, comme énergie pure des constructions diverses et variées, qu’elles soient politiques, individuelles ou sociales, intimes, sexuelles, artistiques et surtout théâtrales. SEXTETT parle du théâtre comme le lieu et l’espace de projection et de représentation du désir.
Est-ce que vous intervenez dans l'écriture?
E. V. : SEXTETT est la suite d’un travail et d’une amitié artistique entre Rémi et moi. Beaucoup d’aventures passionnantes dans l’histoire du théâtre sont nées d’une rencontre entre un auteur et un metteur en scène. On ne peut pas au théâtre dissocier le fond de la forme. Le metteur en scène, qu’il le veuille ou non, donne une forme à l’écriture proposée par l’auteur. La mise en scène est un art d’écriture de la scène et en ce sens, elle touche à d’autres arts tels que les arts plastiques, la musique... Le livre prend forme en 3D, dans l’espace-temps du théâtre, pour produire un spectacle ici et maintenant. Après JUSQU’À CE QUE LA MORT NOUS SÉPARE en 2006 avec CATHERINE JACOB, MICHA LESCOT et CLAUDE PERRON, DÉBRAYAGE en 2007 avec la promotion sortante de la Manufacture (Lausanne) et la traduction d’OTHELLO de SHAKESPEARE en 2008 que nous avons faite ensemble, SEXTETT est notre quatrième collaboration. En 1996 Rémi m’avait envoyé sa première pièce. À la lecture, j’ai compris qu’il y avait-là une écriture nouvelle, qui mêlait sérieux et comique. C’est assez rare. Rémi écrit sur des sujets sérieux avec la force du rire. Pour SEXTETT, nous voulions créer pour ces acteurs en particulier. Nous avons passé beaucoup de temps ensemble chez moi en Bretagne. On a beaucoup parlé. On s’est promené au bord de la mer. Le plus important était sans doute de faire quelque chose ensemble et de témoigner par le théâtre à notre façon d’un sentiment du monde très personnel et du désir en tous ses états.