À propos de LA PLUIE D'ÉTÉ au Théâtre de Quimper · ÉRIC VIGNER · Août 1993
Ce spectacle LA PLUIE D'ÉTÉ d'après le livre de Marguerite DURAS est né d'un atelier que j'ai réalisé en mars 1993 avec six élèves de dernière année du Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique de Paris.
LA PLUIE D'ÉTÉ c'est l'histoire d'Ernesto, de Jeanne la soeur d'Ernesto, du père et de la mère d'Ernesto, de l'instituteur et de la journaliste. Ernesto, c'est cet enfant d'émigrés de Vitry, âgé entre 12 et 20 ans "qui ne veut plus aller à l'école parce qu'à l'école on lui apprend des choses qu'il ne sait pas". Cet atelier fut créé dans le théâtre à l'italienne du Conservatoire, théâtre du 18 ème siècle classé monument historique, or et velours grenat, lieu de la "connaissance", emblématique d'une histoire de l'enseignement de l'Art Dramatique en France.
Depuis mon premier spectacle la Maison d'Os, de Roland Dubillard, la problématique liée au lieu, à son histoire, à sa mémoire intrinsèque, à sa magie propre est au centre de mon travail. LA MAISON D'OS fut d'abord créée pour et à cause d'une ancienne usine à matelas désaffectée d'Issy-les-Moulineaux, lieu magique, vertical qui gardait en lui le passé d'une activité ouvrière artisanale, lieu où la symbolique dubillardienne du "dedans" et du "dehors" trouvait son sens et sa plénitude.
Pour le festival d'Automne en 1991, j'ai recréé LA MAISON D'OS dans un espace labyrinthique souterrain infini, où le temps n'avait pas encore laissé de trace sur la surface lisse du béton! Mon travail est toujours lié à la réalité du lieu investi. Pour la première fois avec LA PLUIE D'ÉTÉ, j'ai été confronté au théâtre à l'italienne où l'organisation architecturale détermine, codifie la mise en forme de la représentation et de sa perception sur un mode d'appréhension du monde établit au quattrocento.
Le lieu (quelqu'il soit) obéit à des lois qui lui sont propres, il est l'acteur principal, pas seulement dans la relation sensorielle, physique, kinesthésique que l'on peut entretenir avec la réalité mais aussi dans le rapport inconscient qu'il entretient, dans la raisonnante qu'il génère avec la mémoire et l'imaginaire collectif du spectateur.
Ainsi l'Odéon n'est pas l'usine d'Issy-les-Moulineaux, ainsi le cinéma des années 50 de la banlieue brestoise où nous allons recréer LA PLUIE D'ÉTÉ n'est pas le théâtre de Quimper. Chaque création nécessite de comprendre le lieu que nous avons choisi comme maison de notre théâtre, de le comprendre dans le sens où Louis Jouvet écrivait "comprendre, c'est sentir, éprouver...".
Il y a quelques mois, j'ai découvert avec bonheur le théâtre de Quimper, c'est un lieu qui inspire, il appelle la magie du théâtre. C'est un lieu qui existe en soi, sans fard, dans sa nudité et son inachèvement, dans sa désuétude aussi. C'est un lieu "durassien" par essence où règne l'atmosphère des tableaux de Hooper et de Norman Rockwell.
Le théâtre tout entier sera utilisé comme espace de la représentation. Pas de décors, pas de trompe l'œil, seul un plateau troglodyte et un champs de pommes de terre définissant la planisphère et le livre toujours présent, lu, dit, énoncé, prononcé, ou proféré, sans quoi rien ne pourrait advenir.