Ce que l'on dit de JACQUES REBOTIER
Colette Godard - 1994:
Compositeur, musicien, fabriquant de l'absurde à longueur de phrases, JACQUES REBOTIER est un personnage difficile à cerner. Humoriste pince sans rire? Scientifique de la sémantique? Chasseur de langages, de sons? Tout cela et certainement bien d'autres choses encore. L'essentiel étant que son érudition maniaque serve de base à une irrésistible drôlerie, ainsi qu'on a pu le constater, la saison dernière, avec son spectacle : Réponse à la question précédente.
Il a toujours fait deux choses à la fois. Tout en suivant les cours de composition au Conservatoire, il ne pense qu'à écrire, et quand il écrit, la musique l'envahit.
"La peur d'arriver à un aboutissement dans un domaine me pousse à me réfugier dans l'autre" dit-il. Musiques ou textes, la scène l'obsède, et c'est à ce moment là que lui viennent des poèmes à lire, non à dire. "La gestion du temps, le rythme, sont différents quand on peut ou on ne peut pas revenir en arrière. C'est une base essentielle du théâtre".
JACQUES REBOTIER passe beaucoup de temps à écouter les délires bruissants des conversations ordinaires. Il les note musicalement, en lignes montantes ou descendantes, points d'orgues, et doubles croches. Pour cette raison, il dit que ses oeuvres sont autobiographiques. Il pique les lapsus, les mots qui trébuchent : "70 % de la perception passent par les intonations, la respiration, toutes les formes de non-dit, ces îles dans les phrases, qui s'adressent à l'inconscient".
JACQUES REBOTIER est passionné par une encyclopédie écrite en latin (il lit le latin) par un moine du Moyen-Age, qui, on ne peut plus sérieusement, a établi d'étranges étymologies. Ainsi : fémur, racine de femme. En effet, c'est à la jambe que l'on reconnait la femme de l'homme, prétend ce moine naïf, qui a du faire la joie des surréalistes.
Quand on saura que JACQUES REBOTIER rêve de parler sans repos pendant vingt-quatre heures enfermé dans un phare, relié par radio au public, on peut annoncer sans trop craindre de se tromper, que son prochain spectacle la vie est courbe, ne ressemblera à rien de connu, et qu'il comblera d'aise les amateurs de non sens, de sens cachés, de sens contraires, de loufoqueries en tout genre.
Marie-Noëlle RIO:
JACQUES REBOTIER est un cas: compositeur, écrivain, photographe, metteur en scène, il joue tous les rôles avec la même grâce, la même invention bricoleuse, le même don de poésie et d'humour. Comment résister à un homme qui, déjouant tous les clichés, joue du langage comme personneui écrit dans tous les sens des choses inqualifiables ne ressemblant qu'à lui, qui déploie une opiniâtre liberté à l'heure des plans de carrière?
Mireille Larroche:
JACQUES REBOTIER est un personnage à tiroirs, tiroirs sans fond, tiroirs à double fond... Une armoire normande aux portes massives mais aux charnières fragiles... Un placard de cuisine aux étagères-surprises, aux poignées qui lachent, aux portes qui claquent... Chacun de ces tiroirs, chacun de ces compartiments conserve précieusement les fragments-puzzle du personnage. Autant d'éléments composites, sonores et
visuels, objets ou fragments du réel que JACQUES REBOTIER nous a laissés entendre, voir, appréhender, ou a refusé de nous livrer en nous claquant la porte au nez, selon son humeur....
Hervé Jantot:
JACQUES REBOTIER, poésie et musique, deux écritures contemporaines dont les fils parfois se croisent. Au mouvement de la musique qui fait appel au vocal et au verbal pour leur stricte valeur sonore, répond le mouvement de la poésie "orale", de la poésie "sonore", où le texte est conçu avant tout pour être dit.
À la fois compositeur et écrivain, JACQUES REBOTIER est au centre de ces deux démarches. Ses textes sont souvent sous-tendus par des structures formelles de type musical. Les lectures qu'il en fait présentent en outre un travail étonnant de diction musicalisée (intonation, phrasé, déplacement d'accents, tempo...). Enfin, avec des oeuvres comme P(l)ages, ou La musique adoucit les sons, il a inventé une nouvelle forme du rapport texte/musique, où le langage est saisi pour sa valeur sonore (phonétique), mais aussi dans toute sa dimension sémantique.
À ces trois titres, - et au titre de la "transgression des frontières", - il occupe une place bien à lui dans le monde de la création contemporaine.
Charles Prager:
JACQUES REBOTIER ne se contente pas de composer une musique incisive et forte, vive et bigarrée, il est aussi poète, attaché aux diverses métamorphoses du langage, esprit curieux de l'image photographique ou peinte, ouvert aux vents contrariés d'une création multiple, il aime à frayer avec les littératures et les plasticiens.
Trait dominant de sa personnalité et donc de son oeuvre, l'humour est toujours présent dans ses diverses compositions et sa fantaisie goguenarde et souvent irrévérencieuse se plaît à travestir la réalité de ce monde. C'est dire que le théâtre musical est sa terre d'élection favorite.
Qu'il s'agisse de formes brèves, qu'il affectionne particulièrement ou de partitions plus élaborées, la musique de JACQUES REBOTIER, toujours expressive, fait bon ménage avec les auteurs, qu'ils soient du XVIème siècle ou d'aujourd'hui.
Avec JACQUES REBOTIER, maître-orfèvre en joaillerie musicale-gros, demi-gros et détail, s'opère le choix d'une autre incursion dans le répertoire si vaste du langage musical de notre époque.
René Bérard:
Il y a dans l'écriture de JACQUES REBOTIER quelque chose qui n'est pas de l'ordre du cheminement, fil savamment déroulé, mais bien plutôt de l'ordre du carrefour. De la poésie à la prose, de la narration à l'essai, de l'écriture la plus élaborée à l'oralité pure (et ici, variation des tempi, rythmes, intonations, intensités, articulations, phrasés, car JACQUES REBOTIER est un lecteur), du plus sophistiqué au plus prosaïque - paradoxe et platitude, tous deux générateurs d'énigme -, du très référencé, érudit même (Antiquité, Moyen Age) au très quotidien, voire trivial, du jeu de sens au jeu de mot (à entrées toujours multiples, et souvent aux frontières floues du calembour et de l'étymologie) : autant de pôles entre lesquels l'écriture serpente insinument, dérive, dans un brouillage des frontières qui secrète comme une relation d'incertitude. Parfois l'écriture procède au contraire par juxtaposition de ces éléments, montage même, véritable mis en scène du désordre, où la poésie se fait apologie du manqué de peu, du déplacé, du dérapage, du flop, de la tache, désir de l'imparfait, de "ce qui laisse à désirer". Amour de l'incongru - "ce qui ne se mélange pas" - , qui culmine peut-être dans l'aphorisme, souvent conçu en coincidentia oppositorum, "contradiction redondante, ou pléonasme antinomique", par où soudain le temps se fêle, ou se casse.