Lettre à JEAN-PIERRE MIQUEL
Marcel Bozonnet
Oui cher Jean-Pierre,
Jouer est un art. Bien sûr, on pourrait dire que c'est un artisanat, un métier, une profession. Être debout sur la scène du monde, dire à voix haute et claire la parole de Shakespeare :
"le monde entier est une scène, les hommes et les femmes seulement des acteurs. Ils ont leurs entrées et leurs sorties".
Oui, dire ces mots, dans leur plénitude mortelle, celle qui fait de nous des femmes et des hommes de passage, exige une recherche amoureuse et continuelle, car, un jour, nous serons ivres, si l'oeuvre l'exige, comme des boyards, nous serons des adolescents, nous serons de vieux rois, "gueux à la ville, prince à la scène". Nous pleurerons des enfants assassinés. Nous aurons à dire l'humanité, comme elle est grotesque, comme elle est tragique.
Et amers, ou plutôt mélancoliques, nous constaterons — le journal du matin nous l'apprend à sa manière — que l'humain en nous fait peu de progrès, puisque chaque jour des populations meurent, emportant dans la douleur plus que leur mort, le souvenir de leurs chants, leurs récits mythiques, ceux-là même qui les fondaient, qui les faisaient être au monde en même temps que nous.
Oui cher Jean-Pierre, jouer est un art.