Journal · Didier-Georges Gabily · LA PLUIE D'ÉTÉ
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DIDER-GEORGES GABILY
À TOUT VA · JOURNAL, 1993-1996 · Actes Sud 2002
"Il ne répond pas. Il repense à tout cela. Lui, par exemple, débarquant dans la salle de cinéma Le Stella à Brest transformée en théâtre-salle de cinéma. Le Stella pour les besoins de l'adaptation théâtrale de LA PLUIE D'ÉTÉ de MARGUERITE DURAS, qui est un livre, qui est aussi un film, qui essaya d'en être un. Un de ces livres (le film, il ne l'a pas vu, il ne s'en veut pas) qui lui était tombé des mains, ou plutôt qu'il avait eu envie de jeter après une quinzaine de pages parce que là, s'était-il dit, elle exagérait vraiment, Marguerite, à vouloir lui faire croire, à lui et à son enfance prolétarienne, qu'on pouvait s'emparer comme ça du (justement) prolétariat ; bref, un début de roman qu'il détestait, pensait-il, ce qui arrive aux meilleurs, pensait-il, et il n'avait pas lu plus loin, rien lu d'autre, oublié, et la salle où il pénétrait était allumée - un autre trait commun les trois salles où il pénétra continuaient à être allumées durant tout ou partie du spectacle : ça ne le dérange pas, ne le trouble pas, ça n'est qu'un signe ; j'entends le même début de roman, je me dis, merde, c'est ce roman-là que je déteste, merde, j'avais oublié à quel point j'avais détesté ce début de roman de DURAS, et c'est juste bien parce que les acteurs lisent, ne jouent pas trop, lisent, le laissent à ses réflexions sur ce qu'il n'aime pas, encore moins, dans ce début de texte, ils continuent et tout ça s'oublie de sa détestation première, d'imbécile, d'ignorant ; il se met à aimer ce texte sur l'inceste et sur l'ignorance ; ils lui donnent à entendre ce texte - c'est suffisant, ce n'est pas suffisant ; ils lui donnent un point de vue qui lui laisse le temps de savoir entre accord et désaccord - c'est suffisant, ce n'est pas suffisant ; de temps en temps une femme-actrice parle de la salle (allumée), une journaliste-actrice qui nous fait assez bien l'actrice- journaliste - il y a dans chaque journaliste un acteur qui sommeille, c'est bien connu - il s'agit du monde ; de temps en temps un homme-acteur parle de la salle, un professeur-acteur qui nous fait assez bien l'acteur-professeur - il y a dans chaque professeur, etc. - il s'agit du monde ; et sur le plateau, la famille (?) joue formidablement aux quatre coins des désirs et des humiliations, la famille (?) tente de nous faire croire que, justement, c'est encore possible la famille et tout ce qui va avec de mythologie durassienne revisitée lumpen ; et tout dit déjà que ce n'est plus possible la famille, l'obsédante durassienne famille ; mais quand même, ce qu'on voit éclaire quelques pans de la quête à vie, à mort, de DURAS.
Un conte pour les incertains. Un vrai beau théâtre pour enfants pas nés de la dernière pluie. C'est suffisant. Les acteurs ont entre vingt et trente ans, je crois. Pour jouer des gens entre sept et cent ans, je crois. Les acteurs essaient de ne pas trop se prendre pour des acteurs sauf quand c'est utile. Ça repose. Ou plutôt ça soulage. Essaient de ne se prendre pour rien d'autre que ce qui les traverse, qui est du texte, qui est du plateau.
Il s'est levé à la fin. Il avait lu un texte par les voies (voix) du théâtre. Il ne regrettait même pas de s'être arrêté si vite en chemin quand le livre lui était tombé des mains. Il avait vu le livre. Il ne pense toujours pas que le texte parle du monde, des tragédies minuscules et graves qui ne cessent de travailler les banlieues ex-ouvrières, déjà ghettos. Mais eux parlent bien de DURAS, l'écrivain. C'est déjà beaucoup.
À la fin, le feu s'empare qui n'est pas une métaphore mais le réel oeuvrant à apurer les comptes du plateau. C'est plutôt beau."