Lettre du front · FRANZ MARC · LE RÉGIMENT DE SAMBRE ET MEUSE
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Description du doc
Franz Marc (1880 - 1916) est un peintre allemand important, emporté par la guerre de 1914. Il fut un des fondateurs du mouvement "Der blaue Reiter" avec W. Kandinsky, et laisse à ceux qui le connaissent, la vision, entre autres, de ses chevaux peints en à plat ou cernés, si riches de vie.
Il fut mobilisé en 1914, et décida d'écrire chaque jour à son épouse, des courriers brefs où il aborde ce qui lui semble l'essentiel : son amour pour sa femme et la vie simple qu'il entend mener auprès d'elle, sa vocation de peintre, ses amis et la guerre dont il est autant spectateur qu'acteur. Et, ici ou là, se glissent des réflexions sur mille autres sujets, qui caractérisent les inquiétudes de l'époque plongées dans le drame de cette guerre.
«Nous vivons aujourd’hui l’un des moments les plus importants de l’histoire des civilisations. Tout ce que nous traînons encore avec nous de culture ancienne est «un présent qui appartient au passé»... Aujourd’hui, personne ne pourra dire vers quelle sorte de culture nous allons, parce que nous sommes nous-mêmes en pleine mutation; nous autres (peintres modernes) contribuons largement à créer un art ‘nouveau-né’ pour l’époque à venir qui donnera nais- sance à toutes les nouvelles lois et notions; il doit devenir si pur, si hardi qu’il permettra ‘toutes les possibilités’ que lui donnera la nouvelle époque. Nous sommes déjà sur ‘l’autre côté’ - sur le côté de la non-vanité, de la non-application de la connaissance. Nos compétences sont en nous ; muet, l’homme noble ne parle pas des aspects techniques de l’existence. Une seule chose doit être faite : l’art doit être libéré de son masque. De nos jours, le but de l’art n’est plus de servir de grands ou petits prétextes. L’art est - ou doit être - métaphysique. L’art va se libérer lui-même des objectifs et des propositions de l’homme. Nous ne peindrons plus la forêt, ou un cheval, comme nous les aimons ou comme ils nous apparaissent, mais comme ils sont en réalité, leur sentiment à eux, leur nature absolue derrière les apparences, derrière ce que nous voyons... Désormais, nous devons désapprendre à représenter les animaux ou les plantes tels que nous pensons les voir, mais représenter dans nos œuvres la relation que nous avons avec eux. Chaque chose sur terre a sa forme propre, sa formule que nos mains maladroites ne peuvent appréhender, mais que nous saisissons intuitivement dans la mesure de notre talent. Nous ne connaîtrons qu’une partie - le temps de notre existence sur terre - mais ne croyons-nous pas tous en la métamorphose ? Nous, les artistes, nous y croyons : sinon, pourquoi cette éternelle recherche de formes métamorphiques ? Les choses telles qu’elles sont vraiment, au-delà de ce qu’elles paraissent être ? Les choses parlent : il y a en elles une volonté, et une forme. Pourquoi devrions-nous interférer ? Nous ne pouvons rien leur apprendre... Nous sommes, je crois, à la croisée de deux époques, mais les champs sont encore en friche. Les vieilles idées et les formes du passé refusent de partir. Elles persistent, mènent une fausse existence, et nous sommes confrontés à la tâche herculéenne de les chasser pour faire place au Nouveau. Les apparences sont banales et plates - enlevez-les complètement de vos pensées - pensez par vous-mêmes, regardez le monde libéré des apparences : ce qui reste, c’est le monde, en perpétuel mouvement, dans sa forme vraie. Une forme, dont nous, les artistes, pouvons capter une lueur.»
FRANZ MARC, LETTRES DU FRONT
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