Politis · 25 novembre 1993 · LA PLUIE D'ÉTÉ
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Politis
25 novembre 1993 · Gilles Costaz
Deux types d eclairage
Baroque chez Daniel Mesguich, clair-obscur chez Éric Vigner
Daniel Mesguich est l'illustration de la célèbre formule de Cocteau parlant de Mauriac, "il faut savoir jusqu'où aller trop loin". C'est un homme qui ne tient pas en place, éclaire coûte que coûte, en affirmant sa patte de metteur en scène et parfois en injectant des textes étrangers à la pièce. Il a un discours théorique qui en remontre à tous les philosophes à la mode et aussi un savoir-faire de technicien du spectacle qui n'est pas banal. Avec Ann Boleyn, pièce inédite de Clarisse Nicoïdski qu'il met en scène sans ajouts (sauf un double au personnage d'Ann Boleyn, mais les doubles, c'est son péché mignon), il réalise une nouvelle fois une sorte d'opéra parlé, de cérémonie de théâtre au rituel d'opéra. La pièce est faite de monologues qui s'entrecroisent : Henry VIII, le roi d'Angleterre, parle dans la solitude à sa femme qu'il a fait condamner à mort ; Ann, la reine déchue, dans une autre solitude, s'adresse à lui. Les soliloques se transforment en dialogue - d'amour, de haine et de sexe. La forme a quelque chose de systématique, mais, comme inspirée par Shakespeare, Clarisse Nicoïdski, a de grands moments de poésie. Les acteurs, Michel Baumann et Sandy Ouvrier, sont dans l'intensité souhaitée, dans ce cri baroque musical sans musique. La mise en scène de Mesguich est un rêve de théâtre et possède cette séduction-là, une surthéâtralité. Mais est-il trop loin, trop près? L'un des regrets que nous avons toujours éprouvés à l'égard de ses mises en scène est qu'elles ont peur de leur humour. Mesguich court volontiers vers Woody Allen, mais s'arrête en route, par peur d'attenter à une certaine solennité. Son Ann Boleyn a des moments de jeune fille moderne, assez rigolos, trop réprimés.
La jeune génération de la mise en scène, opposée à ce style très affirmé, c'est, entre autres, Éric Vigner. Lui, au contraire, ne surthéâtralise pas, il déthéâtralise, si l'on nous permet ces barbarismes. Sa mise en scène du récit de Marguerite Duras, la Pluie d'été, qui arrive du Quartz de Brest à Aubervilliers (et qui fut d'abord présentée au Conservatoire de Paris, où nous l'avons vue), part de la simple lecture. On croit même, pendant un bon moment, que les acteurs vont nous lire, pendant deux heures et demie, le bouquin. Mais, insensiblement, la mise en scène naît, les acteurs jouent (secrètement) et le décor bouge. Le livre est formidable : à travers l'histoire d'un enfant qui refuse l'école parce qu'"on y apprend des choses qu'il ne sait pas", mille choses sont dites sur l'enfance, la culture, la banlieue, les déclassés. Parce qu'il est intelligemment respectueux et mystérieusement inventif, le spectacle d'Éric Vigner est lui aussi formidable. Jean-Baptiste Sastre, Philippe Metro, Hélène Babu, Anne Coesens, Thierry Collet et Marilù Bisciglia sont de jeunes acteurs à l'éclat sourd et vif à la fois. Rarement on a su être autant au coeur de la littérature en étant au coeur du théâtre.
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