Le Figaro · 3 décembre 1993 · LA PLUIE D'ÉTÉ

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Presse nationale, Critique

Figaro

3 décembre 1993 · Frédéric FERNEY

Maniéré

Cette impérieuse régence de l'esprit parisien et féministe, cette volonté de recherche et de raffinement dans l'écriture, ces émois de pure forme, bref cette littérature de dames (comme il y a des liqueurs de dames), cela s'appelle dans notre histoire littéraire : la "préciosité" Marguerite Duras a beau faire, elle n'aura jamais mauvais genre. Elle peut bien vouloir écrire peuple et couper sa prose avec de la banlieue, elle reste rive gauche jusqu'au bout des ongles. Une Mademoiselle de Scudéry de l'ère du soupçon !

Un écrivain? Non, une voix. Duras lacunaire et laconique, Duras si follement simple à force de calcul et de tension savante. Le travail d'Éric Vigner sur La Pluie d'été ne l'est pas moins. Le livre à la main, les acteurs lisent autant qu'ils jouent. Pas comme des débutants, non, comme des prêtres, des chamans, des vestales, ivres de formules magiques et d'encens. On est moins au théâtre qu'à la messe. On ne s'ennuie jamais à la messe, à condition d'avoir la foi.

Né d'un travail d'atelier sur le thème "De la lecture au jeu" le spectacle recrute toutes les subtilités du théâtre-récit. On a réduit au minimum tout ce qui aurait l'impertinence de nuire à l'écoute de ce jargon sublime : le décor, les personnages. La prochaine fois, on supprimera peut-être les acteurs pour faire plaisir à Marguerite ! Ce sera dommage : Jean-Baptiste Sastre est magnifique dans le rôle de l'enfant Ernesto. Hélène Babu, Marilu Bisciglia, Anne Coesens, Thierry Collet et Philippe Métro méritent une palme.

Car Duras se moque de la vérité, de l'acteur, du théâtre, comme de l'an quarante. Seul compte la tension suprême du style, le sien -- qu'elle élève au rang de paranoïa sacrée. Son art consiste à surmonter avec brio la difficulté de l'expression, à contourner l'écueil de la banalité avec la banalité même. Des gestes, des pas, des mots. Des cris, des silences qui signifient mieux que la parole. Chez Duras, les silences ont toujours réponse à tout. Comme la mise en scène — très littérale, très maniérée — d'Éric Vigner en rajoute un peu, elle doit raffoler de ce spectacle. Nous aussi c'est exquis, c'est extrême. Au bout de trois heures, on a juste un peu de mal à respirer.

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Sujet: 
La tension suprême du style.
Date: 
03 Déc 1993
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