L'Humanité · 22 février 1994 · LA PLUIE D'ÉTÉ
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L'Humanité
22 février 1994 · Jean-Pierre Léonardini
Écrit après avoir rasé les murs
Tant donné que le remords existe, je rasais les murs, et pas qu'un peu, en allant voir, au TNP-Villeurbanne, Pluie d'été, que j'avais manqué lors de sa création, en novembre, au Théâtre de la Commune-Pandora d'Aubervilliers. Il s'agit donc de faire amende honorable. Il n'est jamais trop tard. Au théâtre, on se retrouve toujours, même pour des rendez-vous différés. Et tant que circule l'objet dont on parle et qu'il a chance d'être vu par d'autres, on ne perd pas son temps, même si on a lambiné en route.
Un genre neuf encore innommé dont on a su transposer l'admirable naïveté
LA PLUIE D'ÉTÉ, c'est un récit publié en 1990, succédant à un film, les Enfants, réalisé en 1984 par Marguerite Duras, en collaboration avec Jean Mascolo et Jean-Marc Turine. Ce livre, qui tient à la fois du conte, du scénario, de la chronique, voire du reportage, est constitué d'un "texte hybride", dont "le métissage des sources, le croisement des formes", produit à la fin, comme le note justement Claude-Henri Buffard dans le programme, "un genre neuf, encore innommé".
Le coup d'éclat d'Éric Vigner et des siens a consisté en ceci qu'ils sont parvenus à transposer en scène l'admirable naïveté de la partition, respectée à la lettre, parfois livre en main. Naïveté retrouvée par le comble de l'art, en fait, et dans laquelle la science de l'écrivain entre au moins autant que la fraîcheur du coeur. L'histoire se passe à Vitry, "banlieue terrifiante, introuvable, indéfinie", dans une famille venue d'ailleurs (père italien, mère de Pologne via la Sibérie) qui a pris souche là. L'aîné, Ernesto, a douze ans et en paraît vingt. Il décide, après dix jours de communale, de ne plus aller à l'école, car on n'y fait que lui apprendre des choses qu'il ne sait pas. À partir de ce délicieux paradoxe, répété avec un doux entêtement par l'enfant monté en graine, c'est toute la machine sociale qui a le hoquet. En revanche, Ernesto, vrai phénomène, poursuit de brillantes études en "free lance", pourrait-on dire, s'instruit en écoutant aux portes de la fac des sciences ou de la Sorbonne. Linstituteur, bon bougre, compréhensif, s'émeut de la chose et fait un rapport en haut lieu. Même que le "Fifi magazine" envoie une journaliste... Un conte, vous dis-je, mais d'aujourd'hui, avec, autour de ce petit poussé trop vite, des parents immigrés et, en lieu et place de forêt primitive, un supermarché où vont se perdre les cadets de la fratrie, sauf Jeanne, qui l'aime d'amour. Où l'on retrouve, de Duras, cette passion d'enfance indélébile entre frère et soeur.
Le spectacle, à l'origine un travail d'atelier réalisé au Conservatoire, obéit tout entier à la dictée d'une franchise de bon aloi. L'exact équivalent concret du style de Duras, sa simplicité étudiée, en l'occurrence, mais simplicité tout de même, a été découvert, loin de toute pesanteur pseudo-réaliste. Nous sommes dans le registre de la fable et lorsque la mère épluche les pommes de terre de la soupe, ce ne sont pas de vraies pommes de terre, par exemple. Tout cela procède d'une sorte d'émerveillement d'ordre poétique, qui laisse loin derrière toute la pesanteur obligée du discours social. Et dans l'espace du théâtre devenu terrain de jeu (scénographie de Claude Chestier et Éric Vigner), des gens jeunes (Jean-Baptiste Sartre, Hélène Babu, Philippe Metro, Anne Coesens, Thierry Collet, Marilu Bisciglia) témoignent joyeusement d'un sens inné de la vérité gracieuse.
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