L'Humanité · 13 octobre 2003 · "... OÙ BOIVENT LES VACHES."
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L'Humanité
13 octobre 2003 · Jean-Pierre Léonardini
À Lorient c'est DUBILLARD pour essuyer les plâtres
À la tête du centre dramatique national de Bretagne, ÉRIC VIGNER, avec la pièce de ROLAND DUBILLARD, "...Où boivent les vaches.", a inauguré le grand théâtre de Lorient. Ce bâtiment, conçu par Henri Gaudin, constitue un beau geste architectural moderne. VIGNER dispose de la salle de 1 050 places pour sept créations par an et d'une salle de répétition pour six mois, tout en gardant ses locaux du 11 rue Claire Droneau. Il y a pire comme destin, mais il ne l'a pas volé.
De DUBILLARD, par exemple, il est le révélateur parfait. Après s'être fait connaître, en 1990, par la réalisation achevée de la Maison d'os, voici donc "...Où boivent les vaches.", oeuvre créée en 1972 par Roger Blin, alors interprétée par l'auteur. Planchon, onze ans plus tard, la reprenait au TNP-Villeurbanne.
Le hic, avec DUBILLARD, c'est que ce n'en est pas. Sa langue, en fuite continue, s'invente une logique propre. Il n'obéit qu'à ses propres lois, d'une poétique déroutante. C'est un comique d'humeur sombre, tout à la fois prolixe et sensiblement réservé. Un écorché, sans doute, avec quelque chose de farouche sous la pluie des mots. Un texte imprévisible, troué d'étrangetés métaphoriques, de banalités retournées, de surprises dans l'infiniment petit et d'envols vers une gravité ineffable. Il ne ressemble qu'à lui, ne se compare à personne, artisan de l'être à la tête près du bonnet.
Grâce à ÉRIC VIGNER, ROLAND DUBILLARD, naguère jugé opaque, se met à couler de source, sans toutefois s'affadir. Il a fallu inventer une esthétique qui ne doive rien au quotidien et mettre en lice des comédiens qui ne sont pas que des têtes bavardes, font parler le corps tout entier. Il s'agit de l'hommage rendu au poète Félix entouré de sa mère, de son épouse, de son fils, de comparses divers. La scénographie (de VIGNER) se résume à de grands pans mobiles de murs en grosses briques dessinées. Dans cette esquisse à grands traits d'une vaste demeure, les interprètes se meuvent ou se faufilent, presque tous surprenants par l'apparence. Il y va, là-dedans, d'une sorte de baroque, tant pour les costumes (Paul Quenson) que dans le jeu, subtilement farfelu, semé de gestes vifs, de postures insolites. Micha Lescot (Félix), interminable jeune homme genre Valentin le désossé, ainsi que Jean-Damien Barbin (rôle de l'acteur à tout faire), mi-page, mi-démon qui distille sa partition comme un alcool fort, amusent d'abondance le tapis. Les femmes (Hélène Babu, Jutta Johanna Weiss), fatales à ravir, excentriques, ne sont pas en reste, tandis que Pierre Gérard, Thierry Godard, Jean-Philippe Vidal et Marc Susini apposent chacun une couleur crue sur ce tableau insolite de la gloire littéraire conçue comme une ébouriffante plaisanterie. À la fin, le poète, changé en statue, rendu fontaine, n'est-il pas condamné à cracher de l'eau à perpète ?
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