Ouest France
4 novembre 1998
La pièce de Victor Hugo au Théâtre de Cornouaille
L'amour fou de Marion de Lorme
Le Théâtre de Cornouaille accueille jeudi et vendredi Marion de Lorme, pièce de Victor Hugo mise en scène par Éric Vigner, le directeur du Centre dramatique de Lorient. Loin des effusions romantiques, il restitue toute la force et les audaces de Hugo dans une mise en scène puissante, décalée et dépouillée.
Marion de Lorme, c'est un peu les Trois Mousquetaires. En moins drôle, sans doute, et en moins agité. S'il est question d'un duel, les épées restent au fourreau. Mais l'histoire se passe de la même façon sous le règne de Louis XIII, et de son éminence rouge, Richelieu. Sous ce régime de fer, une belle courtisane, Marion de Lorme, multiplie les aventures. La belle n'a pas un coeur de pierre. Elle tombe éperdument amoureuse d'un jeune homme pur et naïf, nommé Didier. Amour contrarié par le pouvoir, étouffé par une société bloquée.
Cette pièce de trois heures, écrite toute en vers, a été rédigée en trois semaines par Victor Hugo. Cela dit en passant. Il est comme ça, Victor. Il réfléchit un peu, il taille une plume, et il rédige Marion de Lorme. Trois semaines après, l'affaire est bâchée, il passe à autre chose. Bon.
La pièce est immédiatement interdite. Charles X, roi de la reprise en main au début du XIXe , a peur qu'on le reconnaisse dans le personnage de Louis XIII. Victor Hugo, en effet, ridiculise Louis XIII. Et l'auteur refuse, malgré la pression de la censure, de peindre un roi aimable, souriant, travailleur, compatissant, honnête, etc. Pour lui, le régime de Louis XIII est liberticide. Point. Il faudra attendre l'explosion de 1830 pour que la pièce soit montée. "C'est possible, dit Victor Hugo, aujourd'hui que Charles X est plus oublié que Louis XIII".
Éric Vigner, le metteur en scène de ce spectacle, est directeur du Centre dramatique de Bretagne, à Lorient, depuis 1995. Né à Rennes en 1960, il a été plasticien et acteur avant de devenir l'un des scénographes les plus originaux de la nouvelle génération. Il se passionne aussi bien pour le théâtre classique que pour le contemporain, montant avec autant d'audace Corneille et Marguerite Duras. Ses mises en scène sont dépouillées, très belles, souvent décalées et ironiques. Leur force est de rendre la primauté au texte, que l'on a parfois trop tendance à noyer sous des jeux de scène spectaculaires.
Éric Vigner explique ses choix dans une interview à Libération : "Je pense souvent au mot de Duras affirmant qu'il faut dire le théâtre plutôt que le jouer. Le théâtre de Hugo est avant tout de la poésie et c'est à chaque spectateur de se faire son propre théâtre." Cette mise en scène de Marion de Lorme est une grosse affaire : quatorze acteurs en scène durant trois heures, de même que le Quatuor Mattheus qui ponctue l'action de valses et de musique baroque. La pièce a été jouée à Lorient, au Quartz et au Théâtre de la Ville à Paris.