Note d'intention · ARTHUR NAUZYCIEL
La tentative d'écriture de PLACE DES HÉROS par THOMAS BERNHARD, peu de temps avant sa mort, naît du sentiment de colère et de déception qu'il éprouve face au comportement des politiques de son pays. Sentiment d'autant plus fort que, justement, il aime l'Autriche comme personne.
Mais la dernière pièce d'un artiste qui meurt ne peut être réduite à un brûlot politique : le corps de Josef absent est déjà l'absence de l'auteur même. S'il choisit de parler de sa ville, Vienne, et de cette famille juive, qui ne trouve plus sa place dans le monde, c'est aussi pour des raisons d'ordre intime : il se retrouve dans le sentiment de l'exil, dans les questions de l'origine, de l'existence, de la survie.
Au-delà du tollé historique qui a suivi la création à Vienne en 1988, on découvre une pièce obsédante, faite de ressassements, de mystère, de rages et d'amours mêlées. Dépassés par une douleur archaïque, envahis par les mots, habités par les morts, les membres d'une famille sans lieux, sans place, jamais, tente de recoller les morceaux du choc avec la grande histoire. THOMAS BERNHARD, que l'on a tant taxé de polémiste scandaleux propose en fait, pour accepter de vivre dans un monde en lambeaux qu'il semble exécrer, la force du rêve, de la musique, et donc de l'art. "La philosophie, on ne devrait l'écrire que sous forme de poème", disait WITTGENSTEIN. Condamné par la médecine à 15 ans, et soigné par son demi-frère, il puise dans cette lutte permanente contre la maladie une force de vie incroyable.
THOMAS BERNHARD est mort le lendemain du jour de la mort de son grand-père, qui l'avait initié à l'art et à la vie. À sa demande, il a été enterré dans un simple cercueil de bois blanc, comme un juif orthodoxe. "Il aime les belles choses son logis est d'une dignité aristocratique. Mais cette dignité, quand il s'y déplace, est aussi toute naturelle, d'une grande clarté", disait de lui l'acteur BERNHARD MINETTI. Objet de fascination qui témoigne d'un amour immense pour le théâtre et les acteurs, cette pièce de fantômes ou de morts-vivants est ainsi une œuvre testamentaire à bout de souffle, "Le Malade imaginaire" d'un artiste à la fois poète, romancier, peintre et musicien.