93 hebdo · 10 avril 1992 · LE RÉGIMENT DE SAMBRE ET MEUSE

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Presse nationale, Avant-papier

93 hebdo

10 avril 1992 · STEPHANE KOECHLIN

LE RÉGIMENT DE SAMBRE ET MEUSE à Aubervilliers : Est extraordinaire celui qui construit un monde nouveau dans un cul-de-basse-fosse !

Du 7 au 26 avril, le Théâtre de la Commune présente le régiment de Sambre et Meuse, une pièce construite à partir des oeuvres de plusieurs écrivains prestigieux. Ce spectacle, né pendant la guerre du Golfe, pose la question de l'utilité de l'art et du théâtre nu moment où le inonde n'est plus qu'un champ de ruines et de bombes.

Le régiment de Sambre et Meuse a vu le jour pendant que les Scud sifflaient au-dessus d'Israël et que les Furtifs lâchaient leurs bombes sur la population irakienne. La plus étincelante des brigades venaient à la rescousse d'une guerre du Golfe bien peu artistique malgré les jolis champignons colorés qui peuplaient les nuits de nos écrans.

La compagnie Suzanne M. forma donc une nouvelle armée, étrange, onirique, pleine de poésie, de grâce et de flamme, mal vu des ratapoils. Ce bataillon alliait le satirisme de Georges Courteline, à la méchanceté de Louis-Ferdinand Celine, au lyrisme de Jean Genet et à l'humour d'Alphonse Allais. Autant dire un bataillon franchement peu présentable auquel venaient s'ajouter Roland Dubillard et Franz Marc.

En ces heures funestes, la compagnie tint son journal de bord: "Nous répétons en plein hiver notre prochain spectacle dans une usine désaffectée d'Issy-les-Moulineaux. Une petite radio posée à même le sol diffuse régulièrement les flashes d'informations en direct du Golfe." (comment ne pas penser au dernier film de Kubrick, Full métal jacket, tourné en Europe, dans un décor d'usine désaffectée ?).

Le Régiment de Sambre et Meuse montre sept acteurs dans une ville ravagée depuis des années par une guerre sans merci (peut-être Beyrouth). Ces artistes ont pris possession d'un théâtre désaffecté, inexistant, situé dans une zone interdite. Ils répètent un spectacle qui devient un acte de résistance contre une réalité funèbre. "Nous répétions La Maison d'os de Roland Dubillard, explique Éric Vigner, le metteur en scène et directeur de la compagnie Suzanne M., un contemporain de Ionesco, qui a beaucoup réfléchi sur l'absurde, quand la guerre du Golfe a éclaté. Nous avons donc décidé de jouer cette pièce sur l'armée, construite à partir de plusieurs auteurs théâtraux et non-théatraux, choisis au hasard de mes lectures. Nous jouions donc cette pièce dans un théâtre désaffectée, pendant la guerre du Golfe, en plein hiver, sans moyens, alors que les jeunes de la troupe risquaient d'être mobilisés, et nous nous sommes demandés à quoi le théâtre servait, pourquoi nous étions là. La guerre n'a fait que renforcer cette question. Le théâtre sert-il juste à divertir ou peut-il changer le monde ?"

Le Régiment de Sambre et Meuse pose cette unique et grave question: à quoi sert le théâtre? C'est l'interrogation douloureuse de Franz Marc, ce peintre engagé volontaire, ami de Klee, qui depuis le front de Verdun écrit à sa femme.

Dans ces lettres, il ne parle pas de la guerre mais de son art, du spirituel dans l'art. Il a fréquenté toutes les révolutions, du cubisme au fauvisme, et continue à rechercher d'autres formes de représentations. La guerre ne lui en laissera pas le temps. Il meurt à Verdun en 1916.

Dans cette pièce, Éric Vigner bouleverse la dramaturgie classique, éclate la linéarité. Ni début ni milieu ni fin. On saute dans le temps, à travers les auteurs. "On commence à Celine et on finit à Genet. On part de la guerre de 14 et on finit à la guerre d'Algérie. Le lien entre ces époques et ces auteurs est surtout un lien poétique et spatial. Le sens n'est pas ce qui m'importe. Cette pièce n'est pas didactique. Je ne dis rien sur l'armée et sur la guerre. Ce n'est pas anti-militariste et ce n'est pas militariste. La guerre est un prétexte car elle produit des situations extraordinaires. Est extraordinaire celui qui construit un monde nouveau dans un cul de basse-fosse. L'artiste comme Franz Marc rêve à une représentation du monde complètement pure, spirituelle esthétique."

Éric Vigner avoue s'être lancé dans le théâtre pour se battre contre le pouvoir du sens, de la dramaturgie. "L'idée primait mais il n'y avait pas trop de théâtre." Les spectateurs riront... et riront jaune. "La plupart des textes sont absurdes. "

Éric Vigner fait référence à l'extrait tiré de Courteline où deux soldats recherchent pendant un long moment un de leur camarade. Mais ils s'aperçoivent à la fin que l'ami commun habite le Midi. "Cette scène dure dix minutes. Les soldats ont parlé d'un gars, ils ont une mémoire commune. Et à la fin leur quête n'a servi à rien, n'a pas fait avancer le schmilblick. On retourne au théâtre de l'absurde. Cette scène ne déparerait pas chez Beckett."

Le Régiment de Sambre et Meuse exprime une recherche inlassable, même sur le champ de bataille. Cette quête, Genet la poursuivit longtemps: "Nous sommes encore loin de l'acte poétique. Tous vous, moi, les acteurs nous devons macérer longtemps dans la ténèbre..."

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Sujet: 
Éric Vigner bouleverse la dramaturgie classique, éclate la linéarité.
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10 Avr 1992
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