Artbihan · Janvier 1997 · Éric Vigner
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RENCONTRE AVEC Éric Vigner, metteur en scène et directeur du CDDB - théâtre de Lorient...
"Je crois à la Décentralisation"
Propos recueillis par Marie Greffié
ARTBIHAN : Vous êtes plasticien de formation. De quand date votre engagement pour le théâtre ?
ÉRIC VIGNER : En fait, le théâtre a précédé les arts plastiques. Ça n'était pas forcément une vocation mais quelque chose qui était là depuis l'enfance et qui n'avait pas pu s'exprimer tout de suite.
Je suis originaire de Janzé, un petit village près de Rennes. C'est là que j'ai commencé à faire du théâtre amateur. Puis j'ai entamé mes études d'arts plastiques à Rennes. J'y ai découvert le conservatoire seulement deux ans après mon arrivée. Une conseillère d'orientation m'avait dit qu'il n'existait pas d'école de théâtre à Rennes. J'ai passé l'audition au conservatoire et à partir de ce moment, je me suis engagé plus sérieusement dans le théâtre. Tout en continuant mes études d'arts plastiques. J'ai enseigné à Caen pendant un an. Puis je suis entré à l'école de la rue Blanche et ensuite au conservatoire de Paris dans la classe de Michel Bouquet.
A. : Vous avez donc fini par "monter" à Paris. Pensez-vous qu'un jeune metteur en scène breton se doive aujourd'hui de passer par la case capitale ?
É.V. : A l'époque, c'était inévitable. Ça l'est sans doute moins aujourd'hui. Quand je suis arrivé à Rennes, j'ai rapidement senti que la seule façon d'évoluer pour moi, c'était d'aller à Paris. Je voulais m'ouvrir, aller voir ailleurs, prendre ce qu'il y avait de mieux dans le théâtre, ne pas limiter ma vision des choses. Aujourd'hui, c'est différent. Il y a la possibilité d'intégrer des écoles de théâtre, notamment à Rennes avec le TNB (1). Les choses sont beaucoup plus décentralisées. C'est pour cela que mon arrivée à Lorient était une aubaine: je crois à la décentralisation, à la création en province. À Lorient, le lieu permet de mener une politique de création. Je suis arrivé dans un lieu vierge, (même si des choses avaient été faites auparavant) une petite structure où tout était à faire en matière de création. L'idée de départ était que le CDDB (2) soit identifiable au niveau national mais qu'il soit un lieu où l'on crée du théâtre, pas un lieu de diffusion des pièces parisiennes.
A. : Vous connaissez bien la Bretagne. A votre retour, comment avez-vous trouvé le paysage théâtral breton et plus particulièrement morbihannais ?
E.V. : Quand je suis parti, on ne pouvait pas travailler en Bretagne. Il n'y avait pas de structures, aucune école, même s'il y avait des compagnies. Quand je suis revenu, il y avait les mêmes compagnies, les mêmes gens. Peu de naissance qui compte au niveau national. Les créations restent locales à quelques rares exceptions. Ce qui a changé, c'est l'arrivée de personnalités comme Jacques Blanc ou Emmanuel de Véricourt (3), qui ont impulsé des choses à la tête des structures. La Bretagne est une région fortement intéressée par le théâtre. Il y a une culture, un potentiel énorme au niveau du théâtre amateur. Les Bretons sont curieux, avides de connaissance. La région et le département ont la chance d'avoir autant d'artistes attachés aux valeurs celtes. C'est une force inouïe. Mais il manque des impulsions. Les collectivités doivent jouer le jeu, c'est fondamental. À mon avis, la Ville de Lorient ne l'a pas encore complètement intégré. Le CDDB est subventionné majoritairement par l'État, j'aimerais que cela suive au niveau de la ville.
A. : En tant qu'acteur et metteur en scène, quelle est votre conception du théâtre ? A-t-il une fonction sociale, une mission, son accès est-il naturellement réservé ? Doit-il être "élitiste pour tous" ?
É.V. : C'est compliqué comme question ! Mais pour moi, la réponse est simple : en tant que directeur de théâtre, j'ai une mission de service public qui m'a été confiée par le Ministère de la Culture. Dans une ville, il y a une utilité du théâtre comme ferment social, politique et de pensée. Le théâtre a une fonction dans la cité. Il est vital pour l'activité économique d'une ville. L'activité artistique est utile à partir du moment où elle génère de la pensée. Les artistes ne doivent pas céder sur leurs désirs et les collectivités locales doivent leur en donner les moyens.
Ensuite il y a la question de l'accès du public au théâtre. Si on n'accompagne pas un visiteur au musée pour lui faire découvrir une toile du XVIIème, il ne peut pas accéder à l'art. Il n'a pas le mode d'emploi. Le théâtre, c'est la même chose. Il faut déculpabiliser les gens, leur faire comprendre qu'il n'est pas réservé à une élite mais qu'il existe pour tout le monde.Un théâtre est un lieu d'échanges, de rencontres : il y a une notion d'accompagnement et d'accueil qui doit être tenue.
A. : Comment un metteur en scène répond-il à cette notion d'accompagnement ? Dans Brancusi, on sent une proximité entre l'acteur et le spectateur : une telle mise en scène est-elle un moyen de favoriser l'accès du public au théâtre ?
É.V.. : L'art est vivant dans un théâtre. Les gens ne sont pas là pour consommer du spectacle comme ils consomment de la soupe et comme ils regardent la télé. Le leitmotiv d'une mise en scène, ça n'est pas de faire du théâtre populiste dans lequel on prendrait le plus petit dénominateur commun pour que tout le monde comprenne. Le leitmotiv d'une mise en scène, c'est de considérer le spectateur comme un acteur. La mise en scène de Brancusi est une conclusion de cette conception. On met le spectateur physiquement à l'intérieur de l'oeuvre. Quand les gens vont à la fête foraine et qu'ils sont dans la grande roue, ils sont dedans, ils y participent. Au théâtre, c'est pareil. Cependant, tout dépend de la façon dont on fait les choses : il ne s'agit pas d'impressionner le spectateur en instaurant un rapport de supériorité entre lui et l'acteur.
A. : Mais vos campagnes d'affichage sont parfois énigmatiques, voire difficiles à déchiffrer. N'est-ce pas rebutant pour un public non initié ?
É.V. : En tant que CDDB, je ne peux pas présumer de l'attente du public. Pour nos affiches, nous travaillons avec des graphistes parisiens qui sont des créateurs et qui se posent la question de ce qu'est l'image du théâtre. Avant de créer, ils travaillent sur les textes, rencontrent les artistes. Et leur travail est une réponse artistique. Ils répondent à l'identité du centre : nous sommes un centre de création, la communication doit aussi être une création. Tout ce qui est inventé en communication pour le théâtre de Lorient est fait dans cet esprit de création. C'est peut-être radical mais la communication se fait sur le long terme. Si l'on faisait de la communication de masse, qui plaît à tout le monde, cela voudrait dire que notre programmation va dans le même sens. Nous serions alors un lieu de consommation théâtrale.
Lors de micro-trottoirs que nous avons réalisés sur ses affiches, les gens étaient, au bout du compte, capables de décrypter le message, le lieu de représentation, la date, la pièce... Les jeunes ont surtout réagi en affirmant que ça ne ressemblait pas à une affiche publicitaire et que, pour une fois, on ne les prenait pas pour des consommateurs. Nos graphistes travaillent sur notre image. Leurs supports passent non seulement une information, mais aussi une image et une réflexion sur cette image.
A. : Êtes-vous metteur en scène avant d'être directeur de théâtre ? Est-il toujours facile de concilier les deux quand on sait que le propre de l'artiste n'est pas toujours d'être gestionnaire ?
É.V.. : Je suis metteur en scène avant tout. Mais je n'ai pas une vision romantique de l'art. Aujourd'hui, un artiste qui n'aurait pas conscience des contingences économiques pour la concrétisation de son art est un ovni. Ce n'est plus dissociable aujourd'hui. Auparavant, on pouvait peut-être distinguer l'art des conditions matérielles. Aujourd'hui, un artiste a forcément conscience des moyens de production, surtout par rapport au spectacle vivant qui ne laisse aucune trace sauf dans l'esprit du spectateur. Il faut désormais travailler sur les deux aspects : ça m'intéresse de faire du théâtre et de créer des emplois, de diriger une équipe de 10 personnes. La direction d'un théâtre, c'est comme une mise en scène. Et un metteur en scène est comparable à un chef d'entreprise qui est obligé d'avoir des idées innovantes pour faire avancer sa société.
A. : Vous êtes arrivé au CDDB - Théâtre de Lorient en août 95 pour un mandat de 3 ans. Serez-vous Lorientais en 98 ?
É.V. : Cela dépend de la façon dont cela va progresser. L'outil théâtre de Lorient n'est pas encore complet. Il manque un atelier de décors, une salle de répétition, une structure de formation liée au CDDB. Il existe une cellule de formation pour les classes A3 mais pas pour les Lorientais. Certains font bien du judo, pourquoi ne pourraient-ils pas faire du théâtre ? Mais tout cela demande de l'argent. Je voudrais partir une fois tout accompli. Mais la mise en scène reste mon métier.
1 Théâtre National de Bretagne
2 Centre Dramatique De Bretagne
3 Jacques Blanc, directeur du Quartz à Brest; Emmanuel de Véricourt, ancien directeur du T.N.B.
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