Les Échos · 19 octobre 2009

Les Échos · 19 octobre 2009
Un vaudeville trash et macabre.
Presse nationale
Critique
Philippe Chevilley
19 Oct 2009
Les Échos
Langue: Français
Tous droits réservés

Les Échos

19 octobre 2009 · PHILIPPE CHEVILLE

Danse de mort

Sextett n'est pas exactement un concert de musique de chambre. Encore que... Les six personnages de la pièce de Rémi De Vos, mise en scène par Éric Vigner au Théâtre du Rond-Point, jouent une étrange partition, où l'on chante volontiers et où la chambre n'est jamais loin. Un vaudeville trash et macabre, entre cauchemar éveillé et fantasmes hardcore, où on glisse et on danse, on se frôle et on s'enlace, avant de tomber inanimé.

Simon, jeune cadre publicitaire, vient d'enterrer sa mère, morte brutalement alors qu'il allait signer un contrat important. Il erre dans la maison familiale, flottant entre déprime et perte de repères, bientôt sollicité par cinq créatures de sexe féminin, aussi bizarres qu'énervées - une collègue de travail collante, deux voisines gothiques chanteuses d'opéra, une prostituée sépulcrale... et même une chienne bavarde et baveuse.

Sextett est plus ou moins la suite d'un spectacle drolatique, Jusqu'à ce que la mort nous sépare, monté par le même duo. Un second volet fascinant dans sa façon de glisser du banal à l'horreur, du deuil au sexe sans joie. Rémi de Vos invente une langue sonmambule qui se répète, lancinante et faussement anodine. Il détourne les convendons du théâtre psychologique et du boulevard chic. Dommage qu'il manque (de peu) son atterrissage, avec une scène de séduction canine trop appuyée et un final de sitcom gore trop explicite qui tue un peu la magie (noire).

Décor magnifique

La mise en scène d'Éric Vigner, en revanche, est irréprochable. Dans un décor splendide qu'il a lui-même conçu - un salon années 1970 extraterrestre en Cinémascope -, éclairé avec grâce par Pascal Noël, il a réglé une étonnante chorégraphie mi-tragique mi-comique, sorte de rencontre entre Buster Keaton et David Lynch. Tout comme la gestuelle, le phrasé des comédiens est distancé, provoquant autant de gêne que de rires chez les spectateurs. Les petits "tours" de chant oriental et brésilien de Johanna Nizard et de Maria de Medeiros sont délectables. Les trois autres actrices sont également remarquables. Quant à Micha Lescot (Simon) avec sa longue silhouette élastique et son phrasé postrohmerien, il campe avec superbe un héros tombé de la lime et de Mars. Sa composition irrésistible provoque l'hilarité dès son entrée en scène. D'aucuns seront plus choqués que séduits par ce théâtre de la dé- rision et du scandale, mais Sextett est une expérience délirante qu'il faut tenter - un spectacle virtuose et diabolique -, qui explose, comme à retardement, les codes du désir et des sentiments.