LE FIGARO
13 octobre 2022 · Anthony Palou
Les Enfants : talents atomiques
Au Théâtre de l'Atelier, à Paris, cette satire écologique fort originale entrechoque la prise de conscience politique et la dérive des sentiments. Déstabilisant.
Au début de la féroce comédie de mœurs et pamphlet écologique Les Enfants, de la dramaturge britannique Lucy Kirkwood, on entend - entre quelques flux et reflux de vagues - un air si anciennement connu qu'on en cherche pendant quelques secondes le titre et les interprètes. Ne s'agit-il pas, oui, de California Dreamin' des Mamas and the Papas. « Toutes les feuilles sont brunes et le ciel est gris », disaient les paroles. C'étaient les sixties, le Flower Power, la Californie et tout le cirque.
Un réacteur nucléaire détruit par un tsunami
Sur une scène au pauvre décor qui semble en cours de (dé)construction (deux pans de mur, blanc et orangé), approche Rose (Dominique Valadié), un cartable à la main. Elle demande à Hazel (Cécile Brune), une femme de son âge, la soixantaine : « Comment vont les enfants ? »
Hazel n'a pas l'air dans son assiette. Elle bredouille, ne répond pas franchement aux questions de Rose. Il n'y a pas beaucoup de chaleur entre elles. Un quart d'heure plus tard, Robin (Frédéric Pierrot), pantalon de cuir, rentre des champs, il élève des vaches et se cuite volontiers avec une gnole artisanale à base de panais.
Avec Hazel, il forme un couple de scientifiques retraités qui habitent paisiblement là, dans cette ferme à quelques encablures d'une centrale nucléaire dans laquelle ils ont travaillé jusqu'à ce jour où un tsunami a détruit le réacteur. Et depuis, la vie, forcément, n'est plus la même, le compteur Geiger fait des siennes et l'eau du robinet n'est plus potable. Rose était leur ancienne collègue.
Un calme distant et une ironie grinçante
Elle aussi a participé à la construction des grandes centrales dans les années 1970, ces années où l'on croyait dur à l'atome, au progrès. À l'amour libre, aussi. Que veut Rose ? Pourquoi refait-elle surface plus de 30 ans après ?
Dans ce rôle, Dominique Valadié est spectaculaire : son talent atomique, son calme distant, son ironie grinçante, sa voix monocorde aux accents comiques.
Rose a eu, il y a bien longtemps, une aventure avec Robin et elle n'est pas revenue pour le revoir, plutôt pour réparer les fautes commises, éviter que l'eau de refroidissement radioactive ne se déverse dans la mer. Elle se dévoue pour les générations futures.
Une génération idéaliste
Derrière son côté léger, Les Enfants pointe la pourriture du monde, l'avenir bancal de la planète et creuse, traque les entrelacs des comportements humains. Qu'est-ce que le vivre-ensemble si ce n'est prendre maintenant ses responsabilités, réparer les fautes commises ?
Humour noir, réflexion sur la responsabilité d'une génération idéaliste qui a laissé une belle « merde » qui déborde à l'image de ce satané Sanibroyeur qui fait des siennes. Lucy Kirkwood écrit un théâtre tout à fait original et il serait vraiment bien dommage de passer à côté de cette pièce qui décrit avec un humour noir un avenir pas rose.
À lire aussi: Les ultimes confessions de Jean Anouilh au Figaro Magazine en mars 1986 Soudain, nous vient à l'esprit cette réplique de Jean Anouilh tirée de Ne réveillez pas Madame : « Pauvres enfants ! C'est toujours eux qui paient les bêtises des grands, en attendant d'être en âge de faire soigneusement les mêmes. » Toute la question est là.