ForumOpera.com · 18 octobre 2013 · ORLANDO

ForumOpera.com · 18 octobre 2013 · ORLANDO
Un univers abstrait d'une grande élégance visuelle.
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Critiques
Tania Bracq
18 Oct 2013
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18 octobre 2013 · TANIA BRACQ


Furieusement fragile

Avec son Orlando, HAENDEL nous propose de plonger dans le paysage intérieur d'un homme dont la fureur est celle d'un être sans force, comme il le dit lui-même. Le héros est exsangue, englouti dans les affres du chagrin d'amour jusqu'à basculer dans la folie. Écrit pour le célèbre castrat Senesino, la partition, exigeante, associe pyrotechnie vocale, délire et impuissance. David DQ Lee, peut-être souffrant, fait de son mieux pour assumer le rôle-titre. Dans la première moitié du spectacle, bien que les vocalises soient impeccables, les aigus manquent nettement de brillant et la voix est voilée sur presque toute sa longueur, les graves peinent à passer l'orchestre sauf quand l'artiste poitrine, ce qu'il fait remarquablement. Dans la seconde partie, les choses s'améliorent et le spectateur peut enfin profiter pleinement d'un très bel investissement scénique, nuancé et poignant.

Éric Vigner est un formidable directeur d'acteurs et la même justesse émotionnelle habite l'ensemble des interprètes. La Dorinda de Sunhae Im au timbre clair, plaisamment percussif, à la colorature aisée, ne mérite que des éloges. Le personnage a quelque chose de mozartien, depuis l'air d'entrée qui n'est pas sans évoquer le "non so piu cosa son cosa faccio" d'un Cherubino jusqu'à son renoncement plein de grandeur à l'amour de Medoro. Face à elle, Adriana Kucerova n'est pas en reste et propose une Angelica de grande classe à l'exquise fragilité en dépit d'un soupçon de nasalité. Son second air est particulièrement émouvant. L'amant préféré, Medoro, est figuré par Kristina HammarstrÖm dont on souhaiterait qu'elle se permette d'élargir ses graves ; mais les pianissimi qu'elle ose sont exquis et elle emporte l'adhésion.  Luigi de Donato complète joliment cette distribution même si son registre haut gagnerait à être plus couvert. Il incarne un Zoroastro viril et décisif qui contraste avec la fragilité assumée des autres personnages. 

La qualité d'écoute entre la fosse et le plateau est formidable, l'orchestre relaie parfaitement les intermittences du cœur des héros. La direction engagée, incisive de Jean-Christophe Spinosi est tout en contrastes. Le chef insuffle une énergie généreuse à des musiciens en parfaite symbiose tout en parant les airs de nuances délicates. Les da capo, en particulier, sont traités par tous avec une remarquable intelligence et le systématique du procédé ne pèse pas. Avec un enregistrement de l'Orlando Furioso de Vivaldi ainsi qu'un Orlando Paladino de Haydn l'an passé au Théâtre du Châtelet, le personnage d'Orlando accompagne l'Ensemble Matheus depuis longtemps et avec succès.

C'est en revanche la première incursion dans L'Arioste pour  Éric Vigner qui signe à la fois mise en scène, scénographie et costumes de cet Orlando perdu par l'amour. Il met en forme un univers abstrait d'une grande élégance visuelle. Dans cet espace, pur artifice, Zoroastro, d'un claquement de doigts, convoque une forêt, un océan qui ne sont qu'un – sublime - rideau de perles colorées. Les états d'âmes du héros déforment ce "paysage" lorsque l'un des protagonistes l'agite, tout comme les émotions altèrent notre regard sur le monde qui nous entoure. La scène de la folie, si originale musicalement, est sobrement servie par un espace totalement clos et des ombres projetées qui deviennent gigantesques. Voilà qui donne efficacement à voir l'enfermement du héros dans son délire, anéanti sous d'impalpables angoisses. On est plus réservé sur le surtitrage projeté dans un smartphone et parfois agrémenté de vidéos au kitsch assumé type colombe en vol ou feu de cheminée. Manière de dédramatiser le propos sans doute en y introduisant une pincée d'humour visuel ? Ici, l'on a pourtant plus envie d'être touché que de rire et l'absence même de grandeur du héros, qui dit préférer l'Amour à la Gloire, sa fragilité, la délicatesse et l'engagement dont font preuve l'ensemble des artistes pour donner chair à la partition, tout cela concourt à émouvoir durablement.

Cette belle coproduction du Théâtre de Lorient, de l'Opéra de Rennes, du Théâtre du Capitole de Toulouse sera également à l'affiche de l'Opéra Royal de Versailles le mois prochain.