La Terrasse
Juillet 2012 · Catherine Robert
Pour la jeunesse d'aujourd'hui
Avec La Faculté, de Christophe Honoré, Éric Vigner clôt la première trilogie de l'Académie Internationale du Théâtre de Lorient. Une tragédie moderne pour un théâtre d'aujourd'hui.
Qu'est-ce que l'Académie?
Éric Vigner: L'Académie a été fondée le 3 octobre 2010 et est basée à Lorient. Elle regroupe sept acteurs. Ils ont entre vingt et trente ans. Ils sont français d'origine étrangère ou étrangers ayant choisi de travailler en français. Ils viennent du Maroc, de Corée du Sud, de Roumanie, d'Allemagne, de Belgique, du Mali, d'Israël. L'Académie est un espace de transmission, de recherche et de production. Ce n'est pas une troupe, ce n'est pas une école. C'est une académie, calquée sur le modèle platonicien, traversée par une série d'intervenants qui transmettent leur savoir comme Platon transmettait les mathématiques, la rhétorique et la philosophie. On y est dans un processus artistique et politique de vie et de travail ensemble autant que d'apprentissage. Au départ, le projet était un peu utopique. On a avancé en tâtonnant, d'expérience en expérience. Les jeunes comédiens, membres de l'Académie, traversent cette expérience pendant trois ans, un peu comme des voyageurs du monde.
Quelle est la place des auteurs dans ce projet?
É. V.: Christophe Honoré est artiste associé à Lorient depuis plusieurs années. Quand l'Académie a été créée, il a proposé d'écrire une pièce pour elle. La Faculté retrouve ses thèmes de prédilection: l'homosexualité, la différence, l'impossible amour, la fratrie, la famille. En juillet 2010, j'étais en possession de trois textes: celui de Christophe, La Place royale, de Corneille, et Guantanamo, de Frank Smith. A partir de là, j'ai cherché les acteurs qui pouvaient traverser ces trois textes. On a joué La Place Royale toute cette saison. C'est un monument historique en alexandrins.
"Je veux que les acteurs puissent porter ce texte à la hauteur d'écriture de Christophe Honoré." É.V.
Quand il est joué par des jeunes gens comme ceux-là, il provoque un processus d'identification incroyable: les jeunes l'écoutent vraiment autrement et trouvent des thèmes qui les concernent. La France est constitué de gens venus de partout et ce mélange fonctionne: il faut que la scène se fasse le miroir de cette mixité. Sur les scènes de danse, on voit cette mixité, mais pas sur les scènes de théâtre. Guantanamo est un texte politique que j'ai travaillé avec les comédiens en leur faisant jouer alternativement les prisonniers et ceux qui les interrogent. Cette alternance dialectique était riche de questionnement et de dynamisme. Je monte La Faculté en dernier. Je veux que les acteurs puissent porter ce texte à la hauteur d'écriture de Christophe Honoré: une écriture poétique et lyrique qui n'est pas naturaliste, même si la situation a l'air de l'être.
Quel est le sujet de cette pièce? Comment la mettez-vous en scène?
É V.: C'est une pièce qui concerne la jeunesse du monde. Qu'est-ce que la jeunesse d'aujourd'hui, dans sa mixité? C'est une tragédie moderne sur l'amour, le désir, qui se passe sur un campus universitaire, la nuit. Un jeune homme est retrouvé mort, il est d'origine marocaine. On essaie de déterminer s'il s'agit d'un crime raciste: pourquoi a-t-il été tué? Le sujet est violent. C'est une pièce en colère. Nous allons la créer dans un lieu nouveau, dans un coin de la cour du lycée Mistral, en extérieur, la nuit. Ce lieu est très excitant car il permet de créer une atmosphère cinématographique, avec des perspectives immenses et plusieurs espaces. A Avignon, j'ai toujours travaillé dans des lieux que personne n'avait jamais utilisés. L'inédit m'intéresse beaucoup.