Les Echos
17 Juillet 2012 · Philippe Chevilley
Fable noire en CinémaScope
En dépit d'une mise en scène éblouissante d'Éric Vigner, Christophe Honoré rate sa cible. Une bonne mise en scène, de bons comédiens... et un bon texte : on ne peut guère s'affranchir de cette "règle de trois" du théâtre. Éric Vigner, le directeur du Théâtre de Lorient (CDDB) a beau déployer les grands moyens dans la cour du lycée Mistral d'Avignon, il ne peut gommer les faiblesses de la pièce qu'il a commandée à Christophe Honoré pour les élèves de son Académie plurielle.
Abordant le sujet grave de l'homophobie, l'écrivain-cinéaste, qui a fait le buzz au début du festival avec son roboratif Nouveau Roman (Les Echos du 10 juillet), déçoit avec cette fable pesante et mélo, qui raconte le meurtre d'un jeune étudiant beur homo. Accumulations de clichés, lyrisme maladroit, pimentées de scène de sexe sado-maso entre un élève et son prof... Honoré rate sa cible. Pourtant, au début, on est bien près d'y croire. Parce que la mise en scène est d'une rare beauté et d'une folle audace.
Éric Vigner utilise tout l'espace et les murs du lycée, en fait un gigantesque studio de cinéma poétique. Sous les projecteurs blancs, le sable renversé dans la cour devient neige, l'air semble glacé. Les jeunes gens arrivent, magnifiques, vêtus de costumes typés : en short de scout (les homos), en sportwear ou costume disco (les hétéros). Ils marchent, ils courent, ils flottent comme dans un rêve. Leurs corps se frôlent et s'étreignent, souffrent et exultent. Vigner les fait crier, déclamer comme dans une tragédie antique. Les sons et la musique tournent autour de nos têtes. On est à la fac, dans une cité, dans une HLM... Le scooter pétaradant de nos jeunes héros tourne autour des gradins, élargit et transcende l'espace.
Film d'ados
Les morceaux de bravoure s'enchaînent, le meurtre sauvage, chorégraphié comme un sacrifice rituel, la scène surréaliste où Jérémy, l'ami homo de la victime, se retrouve en famille avec ses frères assassins et sa mère (débarquée d'un camion ). On se croirait alors dans un film d'ados flamboyant de Nicholas Ray (La Fureur de vivre) ou de Coppola (OUtsiders). Mais la magie se délite au gré des errements du texte. On ne peut transformer indéfiniment du plomb en or. La diction tragique survoltée des comédiens finit par lasser. Le personnage de la mère est traité de manière trop violente et emphatique. Quant aux (autres) rôles de filles, ils sont pratiquement inexistants - difficile pour les deux jeunes actrices de sortir leur épingle du jeu. Les garçons mieux lotis, imposent leur grâce et leur charisme, en petits princes écorchés vifs. Par instants, on sent ce qu'Honoré, en retravaillant son texte, aurait pu faire, un brûlot humaniste et sensuel, une ode puissante à la différence et à la liberté, empruntant la poésie torturée d'un Koltès. Dans un tel écrin, le spectacle aurait été inoubliable.