Actualité de la scénographie
Janvier 2005 · JEAN CHOLLET
Cette dernière pièce, écrite en 1988 par Thomas Bernhard peu de temps avant sa mort, se situe à proximité de cette place (Heldenplatz) où cinquante ans auparavant, au lendemain de l'Anschluss, de nombreux viennois acclamaient Hitler. Après un demi-siècle, la famille du professeur juif Schuster n'a pu effacer les traces et les clameurs de ce cauchemar. À la veille d'un nouvel exil à Oxford, le professeur s'est jeté par la fenêtre de son appartement donnant sur la place des Héros. Le jour de son enterrement, sa vie, son regard sur le monde sont évoqués par ses proches, principalement par sa fidèle gouvernante madame Zittel et son frère Robert (Christine Fersen et François Chattot, remarquables). À travers leurs soliloques imprécatoires, Bernhard fustige une dernière fois l'antisémitisme, les politiques, l'église, la veulerie ou la lâcheté, avec cette violence du verbe qui lui est propre, teintée de son amour-haine avec une Autriche devenue métaphorique. La fine et rigoureuse mise en scène d'Arthur Nauzyciel porte avec intensité la musicalité, les accents et les abîmes de ce texte brûlant dont elle exhale une résonance pénétrante.
Avec une interprétation de qualité, la représentation trouve un écho sensible dans les décors d'Éric Vigner, inspirés par les plasticiens viennois du début de XX° siècle, dont l'esthétique et la symbolique témoignent d'une osmose expressive avec l'atmosphère de la pièce. Une entrée brillante et salutaire de Thomas Bernhard dans le répertoire du Français.