Le Télégramme · 29 octobre 1993 · LA PLUIE D'ÉTÉ

Le Télégramme · 29 octobre 1993 · LA PLUIE D'ÉTÉ
LA PLUIE D'ÉTÉ au Stella à Brest
Presse régionale
Critique
Jean-Luc Germain
29 Oct 1993
Le Télégramme
Langue: Français
Tous droits réservés

Le Télégramme Brest

29 Octobre 1993 · Jean-Luc Germain

Des lumières dans la brume

"Je vais faire du théâtre cet hiver et je l'espère sortir de chez moi, faire du théâtre lu, pas joué. Le jeu enlève du texte, il ne lui apporte rien, c'est le contraire, il enlève de la présence au texte, de la profondeur, des muscles, du sang", déclarait Mme Duras, dans un entrefilet de 1987 glissé en exergue du programme de La pluie d'été joué au Stella jusqu'au 10 novembre.

Passionnant spectacle

Il en fallait donc du courage au metteur en scène ÉRIC VIGNER pour braver l'anathème et cueillir contre son gré, sur scène, cette Marguerite-là. "Du théâtre lu, pas joué...". D'aucuns ont eu peur en voyant les comédiens, hiératiques, commencer par lire à haute voix le texte, préface mode d'emploi de l'auteur comprise. Ils avaient raison... peut-être... ou peut-être pas... encore que si, non, finalement non... Disons le franchement, La pluie d'été, la pièce, est un superbe spectacle de théâtre, inventif, sobre, servi par six comédiens extraordinaires, dont Jean- Baptiste Sastre, Ernesto inoubliable et inouï, privé d'amour par une "école où on lui apprend des choses qu'il ne sait pas" . Comme rarement, ce travail collectif d'une très grande précision, met en scène le langage, jouant à merveille de la voix off, du point de vue du narrateur, "matérialisant" sous les planches les ellipses et le non-dit du récit original. Posant les vraies questions et escamotant parfois les réponses dans un grand mouvement de silence. Un régal.

Tangage dangereux

Et puis il y a Duras, fugitivement magique lorsqu'elle parle de l'innocence perdue, de l'enfance en proie au doute, de la mémoire, de la famille, de l'amour. Souvent agaçante aussi, hélas, quand elle s'obstine à imposer son prêt-à-penser sibyllin, véritable bric-à-brac un rien démago, sorte de Durassic Parc (selon l'expression désormais consacrée) où il ne manque aucune des attractions en simili prolo et anti-système qui doivent alimenter les soirées mondaines en mal de phrases toutes faites. Déclarations définitives d'autant plus utiles à la conversation qu'elles demandent des heures d'interrogations stériles. Ça peut meubler. Parfois fière goelette, toutes voiles de lumière dehors, poussée par le souffle du verbe et l'émotion, le propos de La pluie d'été tangue souvent dangereusement tel un caboteur poussif menacé par la vase. Une difficulté qui explique surement la longueur excessive du trajet, près de trois heures, et donne un supplément de valeur, à l'exploit d'un équipage de comédiens épatants. Dans la brume il faut savoir jouer de la boussole. Le capitaine Vigner est de ceux-là. Chapeau.