Opéra international · Février 2001 · LA DIDONE

Opéra international · Février 2001 · LA DIDONE
Cette Didone est une magnifique réussite, qui mériterait de voyager.
Presse internationale
Critique
Jean-Jacques Roth
Fév 2001
Opéra International
Langue: Français
Tous droits réservés

Opéra international

Février 2001 · Jean-Jacques Roth

Poursuivant une saison audacieuse, l'Opéra de Lausanne invite La Didone de Francesco Cavalli. Chef-d'œuvre, affirme Christophe Rousset, dans un texte de programme où il justifie longuement l'exhumation de cet ouvrage, composé en 1641 pour Venise. Et pour une fois, le terme ne ment pas, tant cette production, à tous points de vue, permet effectivement la découverte d'une merveille. Grâces en soient d'abord rendues à Christophe Rousset, auteur d'une réalisation scrupuleuse, mais réduite à des dimensions supportables (deux heures trente au lieu des quatre heures d'origine). Sa direction est admirable de vie. Quand bien même l'essentiel de l'ouvrage repose sur le recitar cantando, souvent susceptible d'engendrer la monotonie, l'ensemble des Talens lyriques déploie une sensualité, une générosité, un naturel qui ne laissent jamais l'ennui s'installer, et qui rendent la partition plus séductrice encore que celles de Monteverdi, dont Cavalli fut le disciple.

La Didone, c'est aussi le fabuleux livret de Francesco Busenello, avec sa verve poétique, son humour qui vient transpercer la tragédie, son sarcasme éminemment moderne, son pessimisme mâtiné de tendresse. "Mille et mille vies seraient un petit prix pour acheter une heure à t'admirer", chante Enée, parvenu à Carthage, devant Didon pour qui son coeur chavire. Comme le veut Virgile, le fier héros troyen repartira à la nuit, abandonnant la reine africaine à son désespoir. Mais, contrairement à la légende et à l'histoire, Busenello décide de sauver la souveraine qui, par un retournement de sort sidérant, épousera son prétendant Iarbas, scellant un lieto fine plein de malice.

Chef-d'oeuvre, oui, où les lamenti sont à se damner, et que Christophe Rousset conduit sans pathos, mais encore faut-il un spectacle qui en traverse les difficultés. Or, pour sa première mise en scène lyrique, Éric Vigner tape dans le mille. On craint le maniérisme en découvrant la scène remplie de guerriers troyens massés, à demi nus, sur les sols de marbre d'un palais vénitien, mais ces afféteries disparaissent rapidement au profit d'un spectacle très charpenté, qui montre à la fois la Grèce de la tragédie, la Venise de Cavalli et notre époque moderne, en un bal chatoyant de costumes, de masques, de tête-à-queue visuels toujours porteurs de fantaisie poétique et de sens symbolique.

La première partie, à Troie, se déroule ainsi sous les lumières blafardes de néons qui disent la guerre et la mort, alors que des rideaux de plexi développent d'inquiétants labyrinthes, où les hommes comme les dieux semblent se perdre. Carthage apparaît ensuite dans la simplicité ocre d'une divinité totémique, énorme rhinocéros à moitié enterré. C'est l'heure de l'amour, de la renaissance, et pour accuser les liens entre les deux univers, le spectacle joue les ambiguïtés : la même Juanita Lascarro chante Créüse, la femme d'Enée, et Didon, la reine convoitée, et avec quelle autorité, quel fruité vocal, quelle variété dans la diction!

Quant à Enée (le ténor finlandais Topi Lehtipuu, au très joli timbre, vigoureux et juvénile) et à Iarbas (le baryton Ivan Ludlow, extraverti, solaire), ils paraissent comme jumeaux, également beaux, également blonds. L'ensemble de la distribution est à l'avenant, avec deux mentions pour la mezzo Katalyn Varkonyi, au grain particulier et très attachant, et à la soprano Hélène Le CorRe, impeccable dans le double emploi d'Ascagne et d'Amour.

La fantaisie, la discipline, une passion perceptible à défendre un choix courageux, et des chanteurs que le théâtre n'abandonne jamais à eux-mêmes, mais qu'il guide et qu'il porte : cette Didone est une magnifique réussite, qui mériterait de voyager.