OUEST FRANCE
16/17 Octobre 1993 · PIERRE GILLES
La pluie d'été, un éloge de l'innocence
Jeune metteur en scène d'origine rennaise, Éric Vigner vient d'adapter pour le théâtre un texte peu connu de Marguerite Duras, La pluie d'été. Les premières représentations publiques seront données au Quartz de Brest, avant de tourner dans l'Ouest. Pour un soir, le Théâtre du Conservatoire, à Paris, a accueilli le spectacle. Impressions fortes d'une avant-première.
Il y a d'abord eu un film, Les Enfants, que Marguerite Duras a réalisé en 1984. Puis le livre, La pluie d'été. A la fois pièce et roman. Écriture hybride où la narration est entrecoupée de scènes dialoguées. Un livre qui raconte une tranche de la vie d'une famille d'immigrés résidant à Vitry, près de Paris. "Banlieue terrifiante, que je me suis mise à aimer", confie l'auteur.
La pièce - le roman - s'attache aux rapports des enfants et des parents, des enfants entre eux, du fils Ernesto avec l'école, avec l'instituteur, c'est-à-dire avec la connaissance. Au-delà, avec le monde. Au-delà encore, avec Dieu, si jamais il existe...
Savoir sans apprendre
"Je ne retournerai plus jamais à l'école parce que, à l'école, on m'apprend des choses que je ne sais pas", dit à sa mère l'enfant Ernesto. Phrase essentielle, contradictoire, par laquelle l'enfant, qui ne sait même pas lire, dit crûment que "le vrai savoir, le bon savoir" de l'école - que pourfendait Leny Escudero dans une chanson - n'est pas son "truc", pas le meilleur accès à la compréhension du monde. Lui, il sait... sans apprendre. Et si c'était cela, l'innocence ?
Le texte est superbe, admirablement dit ou joué par de jeunes comédiens, tout frais sortis du Conservatoire. Le metteur en scène a su leur communiquer son coup de coeur pour les mots et les personnages de Marguerite Duras, en respectant l'ambiguïté d'une oeuvre qui chemine entre récit et théâtre. Surtout, grâce à la complicité de ses acteurs, Éric Vigner restitue avec pudeur et beauté des moments très forts de tendresse ou d'amour au sein d'une famille où le plus grand malheur serait la séparation. Quasiment la mort. Inévitable, pourtant, la séparation, au sortir de l'enfance. Et c'est mourir deux fois.