Théâtre
Luc De Maesschalck
LA PLUIE D'ÉTÉ, de MARGUERITE DURAS : Incontournable, forcément incontournable !
Ce spectacle s'annonce comme la conjonction parfaite entre un texte sublime, un metteur en scène inspiré et six comédiens tout frais sortis du conservatoire national d'Art dramatique de Paris. Le souffle durassien bouleverse la langue, éclaire l'univers social de nos marges, et renverse cet enseignement qui apprend des choses "qu'on ne sait pas" !
La Pluie d'été est un des meilleurs textes de Duras... Peut-on dire autre chose que un des meilleurs parlant de l'oeuvre de Duras, qui en compte tant, de ces textes qui bouleversent au plus profond de l'intime tout en nous parlant du monde alentour ? La Pluie d'été (éd. POL, 155 p., 60 Fl raconte, avec une écriture, une langue singulièrement bien adaptées — intégrées voudrait-on dire — la confrontation d'une famille nombreuse du quart-monde avec les valeurs de la scolarisation. Le pivot, c'est Ernesto, l'aîné de sept enfants ; un enfant qui a tout compris de l'inexistence de Dieu comme de l'inconséquence des hommes. Il protège ses "brothers" et ses"sisters", et couve une passion irrépressible pour Jeanne, sa soeur, qui a pratiquement le même âge que lui, "entre douze ans et vingt ans" nous dit Duras...
Ce sont les enfants d'une femme très belle, aux cheveux blond-roux, originaire d'une région entre l'Oural et l'Ukraine. Le père nourrit pour elle un amour désespéré. Il vient de la plaine du Pô. Il est monté chercher du travail comme maçon jusqu'à cette banlieue parisienne au contours imprécis, Vitry. C'est là qu'il l'a rencontrée.
Depuis leur premier enfant, elle ne travaille plus. Depuis leur troisième, il a arrêté lui aussi et ne fait plus rien. Depuis, ils font un enfant chaque année qui passe. Depuis, elle cuisine des pommes de terre aux oignons pour le repas de chaque jour... Les enfants vivent leur vie à distance respectueuse, de peur que les parents, dans un coup de blues, ne les déposent à l'assistance publique.
Un jeune instituteur va ouvrir ce cercle consanguin et effrayé. Il introduira presque malgré lui un nouvel ordre, normalisateur selon le monde civilisé, fatal à l'écosystème familial. Qui jugera ? Le lecteur ? Le public ? Mais déjà, Duras nous conduit bien au-delà.