Théâtres historiques
Quels théâtres sur ces scènes ?
ÉRIC VIGNER
Depuis l'enfance, j'éprouve une fascination particulière pour les théâtres à l'italienne.
Aujourd'hui encore Odéon et Athénée sont des noms qui font rêver. Ce sont des lieux magiques, insolites qui existent en soi avec leur mémoire intrinsèque. Ils sont la mémoire du théâtre et de son histoire.
Pour réaliser un acte théâtral dans un théâtre historique il faut prendre en compte cette mémoire inconsciente qui résonne avec l'imaginaire collectif du spectateur.
En dehors de toute programmation, de toute "image", le théâtre historique engendre une perception particulière de l'événement qui sera présenté, son rapport scène/salle conditionne une forme de la représentation et de sa perception. Il est nécessaire aujourd'hui de comprendre à nouveau pourquoi, comment et dans quel but il a été construit pour ensuite travailler à pervertir ou non le rapport que sa configuration spatiale semble induire naturellement.
Quand je décide de mettre en scène Looking at you (revived) again de Gregory Motton, jeune auteur contemporain, je me demande effectivement comment inscrire cette fable moderne, cette dramaturgie éclatée dans un théâtre conçu et édifié selon la conception du monde héritée du quatrocento ?
Dans un théâtre conçu et édifié selon un ordre du monde unifié et cohérent ? Depuis le début j'ai choisi de travailler à partir de la réalité du lieu investi et cela quel qu'il soit.
Au commencement il y eut la Maison d'Os de Roland Dubillard dans une ancienne usine de matelas désaffectée d'Issy-les-Moulineaux, ce spectacle m'a permis de définir quelques principes que j'ai tenté d'appliquer ensuite avec la réalisation du livre de Marguerite Duras, La pluie d'été, dans le théâtre historique du Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique de Paris.
Les principes sont les suivants : "Le lieu de la représentation est celui du théâtre tout entier, il n'y a plus de division entre la scène et la salle, plus de quatrième mur, les acteurs et les spectateurs sont dans le même espace, le plus souvent les spectateurs sont dans l'espace de jeu des acteurs, impliqués physiquement, et le jeu est partout dans l'espace du théâtre, pas seulement devant nous, mais aussi derrière, dessous, dessus et à côté. Il n'y a plus de décor, plus de trompe l'oeil, la boîte à illusion est démontée. Ce qui est donné, n'est plus donné à voir, ni seulement à entendre, mais est donné à comprendre dans le sens où Jouvet écrivait "comprendre c'est sentir, éprouver". Comme dans un environnement de Beuys, le spectateur n'est plus devant l'œuvre, il fait partie intégrante de l'œuvre, elle n'existerait pas sans lui. Il n'y a plus de mise en scène, au sens propre puisque la scène n'est plus le lieu privilégié de la représentation. Il n'y a plus de metteur en scène, le terme est devenu impropre, il faut trouver autre chose."
À la question quel avenir pour le théâtre historique on peut substituer : où en est-on du théâtre aujourd'hui ? Quelle forme inventer pour parler aux hommes?