Études · Juin 2004 · "...OÙ BOIVENT LES VACHES."

Études · Juin 2004 · "...OÙ BOIVENT LES VACHES."
La pièce est écrite dans une langue à la fois jactée et subtile.
Presse nationale
Annonce
Juin 2004
Etudes
Langue: Français
Tous droits réservés

Études

Juin 2004

Dans la série des pièces qui se succèdent au Théâtre du Rond- Point, il manque le chef-d'oeuvre incontestable de DUBILLARD : Maison d'os. En son lieu et place, voici cette pièce tragi-comique dont le titre est emprunté à un poème mystérieux de Rimbaud, Comédie de la soif, lequel a trois refrains : "Mourir aux fleuves barbares", "Aller où boivent les vaches ", " Ah! tarir toutes les urnes!" DUBILLARD choisit curieusement le deuxième refrain, qui évoque un retour à la nature dont notre auteur est si loin.

Pièce étrange, déconcertante, elle commence comme une satire et finit comme un cauchemar. On nous présente un créateur - protée, prénommé Félix, poète, musicien, architecte, exalté par les médias et jouant sur eux, car ils lui permettent une mise en forme perpétuelle de sa personnalité sociale — à quoi finalement se réduit son "oeuvre". Ledit Félix est entouré d'une cour désopilante et dérisoire (nous connaissons cela), où sa mère, quasi diva, tient la place centrale ; et il cherche à comprendre, à se comprendre, en rêvant tout haut sa vie.

La pièce est écrite dans une langue à la fois jactée et subtile (plus folle encore que celle de Naïves Hirondelles !), pleine de sous-entendus étymologiques et culturels, de courts-circuits d'images et de situations. Malgré son côté loufoque, canularesque, elle est parcourue, souterrainement, par des courants d'une grande violence. On dirait que DUBILLARD, au départ, a voulu régler des comptes personnels avec telle personnalité bien parisienne, puis s'est pris lui-même pour cible avec une férocité qui trahit un assez bouleversant désespoir. L'étrangeté vient de ce que l'ensemble se présente comme un rêve éveillé, où les scènes se succèdent par glissements d'images en apparence incohérentes et montant peu à peu vers le délire.

DUBILLARD avait joué lui-même le rôle de Félix lors de la création, avec une dégaine chaloupée et un bafouillis savant proprement inimitable. La difficulté est de donner à ce personnage une sorte de superficialité aiguë, frôlant sans cesse la profondeur qui le débarrasse de ses facilités, vulgarités, insignifiances, pour laisser à nu ses blessures et sa soif intarissable. Mais que se cache-t-il à la fin, sous cette ivresse terrible suscitée par l'eau pure ? Quel cri ? Quel appel ? Quel espoir sans but, puisque toute oeuvre est mensonge' ?