Ici Montréal
30 août 2007
BAIE DU SOUVENIR
Éric Vigner a posé un regard neuf sur l'oeuvre de Duras. Il nous offre Savannah Bay, un hommage à la vie et au théâtre.
Le metteur en scène français Éric Vigner en est à sa deuxième visite à l'Espace Go, où il avait présenté en 2002 La bête dans la jungle, l'adaptation théâtrale d'une nouvelle de Henry James dans une version française signée Marguerite Duras. Vigner avait pensé le spectacle comme la première partie d'un diptyque. Il nous en offre aujourd'hui la suite. Savannah Bay, écrite par Marguerite Duras pour la comédienne Madeleine Renaud, est un hommage au théâtre et à la vie: " C'est l'histoire d'une actrice plus âgée qui transmet à une actrice plus jeune quelque chose de sa vie, de son savoir, de sa mémoire, de son histoire du théâtre ", résume Vigner.
La pièce parle aussi du désir de mourir d'amour, thème qui traverse l'oeuvre de Duras et qui prend ici le visage d'une fille de 16 ans amoureuse d'un jeune homme, de son suicide probable et de sa mère qui, 30 ans plus tard, tente de la ramener à son souvenir.
C'est avec Savannah Bay que le metteur en scène avait fait entrer Marguerite Duras à la Comédie-Française, en 2002.Il faut dire que sa façon d'aborder l'oeuvre durassienne est nouvelle, au point où Duras elle-même, après avoir vu son adaptation de Pluie d'été, lui a donné les droits de tous les textes qu'il voudrait monter. Pour Vigner, il s'agit d'une écriture essentialiste, rninimaliste, où toutes les phrases sont nécessaires.
"C'est un théâtre très exigeant. Il faut plonger à la source de l'écriture, et la source, c'est un sentiment lié à l'amour, considéré dans son absolu. Il faut plonger pour comprendre ce qui est en surface, et ce qui est en surface, c'est l'écriture de Duras. Une écriture qui se fait devant nous. Il faut se laisser faire comme quand on regarde la mer ou la montagne." Pour ceux qui ne connaissent pas Duras et qui ont un a priori sur une auteure cautionnée comme intellectuelle, le metteur en scène la dépeint au contraire comme une auteure extrêmement sensuelle. " Cette femme a inventé quelque chose de très important dans la deuxième moitié du siècle, elle a inventé une écriture qui n'est pas encore appréciée à sa juste valeur ni complètement découverte. Elle a transmis beaucoup et elle continue de transmettre parce que son oeuvre est toujours active, l'écriture est toujours active, et ça, c'est très rare."
RENCONTRE INTERCULTURELLE
Éric Vigner dirige pour la première fois des comédiennes québécoises: Françoise Faucher et Marie-France Lambert.
" C'est Ginette Noiseux qui m'a proposé ces deux actrices après avoir vu la mise en scène de Savannah Bay en France. C'est intéressant parce que c'est une rencontre interculturelle bien qu'on parle la même langue. Ce sont deux grandes actrices, passionnantes, qui servent bien le projet. "
Même en partant de la mise en scène qu'il a créée pour la Comédie-Française, le fait de travailler un texte de Duras avec d'autres actrices change les choses, croit Vigner, qui a aussi conçu la scénographie. Le plasticien de formation aborde d'ailleurs la mise en scène comme la compréhension de tous les signes développés dans l'espace du théâtre, que ce soit le son, la lumière, le décor ou l'interprétation. Et parce que pour lui le spectateur doit être au centre de tout, il veille à ce " qu'il ne soit pas devant une pièce de théâtre, mais qu'il soit dedans, plongé dans le corps même de l'écriture, pas seulement de l'histoire ". Cette fois, elle nous transporte dans la mer chaude à Savannah Bay, du côté de l'Asie, des moussons d'été, dans une atmosphère "pas du tout cérébrale, mais complètement sensuelle, et féminine, parce qu' n'y a pas d'homme dans cette pièce l'homme est absent ".